Télévision : 12 août 2022 à 02:45-04:21 sur Canal +

film : drame

Plus d'une décennie après mai 1968, les événements restent profondément gravés dans les esprits. Notamment pour Jérôme, animateur sur une radio populaire auprès des jeunes, et ravi de voir François Mitterrand débarquer à l'Elysée. Optimiste, il voit se dessiner un avenir qu'il pense radieux, tout le contraire de son cadet Philippe, plus réservé et sceptique alors qu'il doit bientôt entamer son service militaire. Entre soirées alcoolisées et fêtes à répétition, ils en perdent doucement leurs repères. Peu avant de rejoindre les Forces françaises à Berlin, Philippe se découvre des sentiments pour Marianne, la compagne de son frère... - Critique : Ça commence comme beaucoup d’évocations nostalgiques au cinéma : par le grain un peu sale d’une vidéo amateur, un souvenir vacillant, enfumé et joyeux, dans la salle d’un petit café, où tout le monde assiste à un tournant de l’Histoire. L’image de François Mitterrand se révèle, ligne après ligne, sur un écran de télévision. Mai 1981, le premier président socialiste de la Ve République vient d’être élu, et le réalisateur Vincent Maël Cardona nous lance volontairement sur une (presque) fausse piste : une reconstitution en milieu rural (un coin paumé de Bretagne), le bilan sentimental d’une époque révolue, avec ses rêves fragiles et ses objets fétiches — entre autres, les cassettes audio et leurs fameuses bandes « magnétiques ». De tels détails, dans ce film intimiste et vibrant, apportent du relief aux jeunes héros et nourrissent leur ambiguïté : deux frères, au seuil de l’âge adulte et d’une décennie, dans la lumière toujours froide, sourde et bleutée de leur petite ville, comme suspendue entre aube et crépuscule, entre les promesses et les impasses de l’avenir. Le crépuscule, c’est plutôt pour Jérôme, l’aîné hâbleur et torturé (formidable Joseph Olivennes), dont le charisme farouche et les excès convulsifs dominent la fratrie. Quant à Philippe, le cadet, les autres le remarquent à peine, taiseux et doux, dans l’ombre du rebelle familial. Philippe, amoureux en secret de Marianne (convaincante Marie Colomb), la fille interdite, la copine de son frangin. Philippe, amoureux de la musique, devant sa console pleine de manettes, de bobines et de magie. Il est le véritable héros de l’histoire. Celui que l’on entend peu, et que le film nous invite à écouter, littéralement, de plus en plus fort. D’abord en arrière-plan, dans le petit studio de la radio pirate où il passe la bande-son de l’époque, de Joy Division à Marquis de Sade, tandis que Jerôme philosophe et poétise au micro, en ces temps où les ondes se libèrent pour quelques années folles, avant de devenir libérales et commerciales. Puis, quand il échoue à se faire réformer et se retrouve obligé de faire son service militaire dans une unité stationnée à Berlin-Ouest, la « voix » de Philippe s’affirme, comme les sons avec lesquels il joue si brillamment, inventant, mixant, du rock à l’abstraction. Dès lors, la chronique d’une fratrie devient un récit d’apprentissage, un portrait sensible de jeune homme, au singulier. Les vibrations de ses rencontres, de ses émotions répondent à celles d’une ville étrangère, d’un vrai studio de radio, et des nuits berlinoises où la musique électro est en train de naître. Si cette tranche de vie est aussi vivante, sans cesse galvanisée par de très belles idées de mise scène — dont une formidable déclaration d’amour improvisée et musicale en direct sur les ondes —, c’est grâce à Thimotée Robart, la révélation du film, qui interprète Philippe. Ce jeune comédien (repéré en 2019 dans Vif-argent, de Stéphane Batut) a tout d’un grand : le charme, le rythme, la densité. Il réussit l’hommage fervent d’un garçon d’aujourd’hui à un garçon d’hier. D’une génération incertaine à une autre.

Année : 2021

De : Vincent Cardona

Avec : Antoine Pelletier, Fabrice Adde, Joseph Olivennes, Judith Zins, Louise Anselme, Marie Colomb, Mathilde Bisson, Maxence Tual, Philippe Frécon, Saadia Bentaïeb, Thimotée Robart, Younes Boucif