Télévision : mardi 17 juin à 09:51-11:22 sur Canal +
film : drame
Souleymane, un jeune sans-papiers de 20 ans originaire de Guinée, travaille illégalement pour une plateforme de livraison de repas. Tandis qu'il pédale dans les rues bondées de Paris pour livrer des commandes, il répète inlassablement son histoire, ou plutôt celle, fabriquée, qui sera susceptible de convenir à l'administration. Dans deux jours, en effet, il doit passer à l'OFPRA son entretien de demande d'asile, le sésame pour obtenir des papiers. Mais Souleymane s'inquiète car il est convaincu qu'il n'est pas encore prêt... - Critique : Quelle histoire doit-on raconter pour être sauvé ? Le titre, apparemment simple, de ce grand film, en est, en fait, la question centrale, vitale. Ouverture sur une séquence administrative : un jeune homme attend son tour, en arrangeant sa mise – il se recoiffe et frotte anxieusement une petite tache sur le poignet de la chemise blanche qui, on le saura plus tard, lui a été prêtée par un ami. Puis il se lève à l’appel de son nom : Souleymane Sangare. Il suit une femme dans un couloir… Flash-back : Souleymane pédale comme un beau diable sur son vélo dans Paris. Il est livreur. Quand l’application de livraison lui demande une authentification, on comprend que ce Guinéen « loue » le compte d’un autre. Alors, il remonte vite sur son vélo, roulant à perdre haleine sur les couloirs de bus vers une boutique africaine pour que le vrai détenteur du compte s’authentifie à sa place. Souleymane en profite, d’une petite voix, pour réclamer son argent, une infime partie des commissions. Non, il aura son fric demain. Souleymane repart, tête basse. Comment va-t-il faire pour payer l’homme qui lui fait répéter son « histoire » de demandeur d’asile, un récit qu’il tente d’apprendre par cœur, même s’il n’a rien connu de ces détails d’arrestation politique et de torture. L’entretien pour sa demande d’asile est prévu le lendemain, mais se reposer est exclu, puisqu’il faut livrer, encore et encore, sans louper le car, le soir, direction le centre social… Après Hope (2015), qui nous plongeait dans l’Afrique des migrants, puis Camille (2019) avec, déjà, Nina Meurisse – en jeune journaliste partie couvrir le conflit en Centrafrique –, Boris Lojkine réinvente le film social et en fait un thriller des plus tendus et bouleversants, en collant au corps et au visage d’un jeune homme doux et affolé. De Paris, il fait une ville étrangère où chaque artère, chaque mètre d’asphalte mouillé, chaque livraison et chaque rencontre est potentiellement dangereuse. Plus que tout autre véhicule, le vélo épouse le chaos de la ville, et le metteur en scène a choisi d’autres vélos (destinés aux prises du son et de l’image) pour suivre Souleymane, son héros, et le nôtre. Humanité absolue Rarement, un film a si bien fait de l’empathie son moteur. Nous voilà, tour à tour, à la place de ceux qui commandent des repas et veulent qu’ils arrivent vite et chauds ; à la place du livreur qui joue sa vie et son avenir. Une fille pleine de morgue (oui, cela pourrait être nous) refuse de réceptionner sa commande à la porte de son appartement haussmannien. Sait-elle qu’à cause de cela l’application peut fermer ce compte de livreur assurant la survie de Souleymane ? Il y a aussi ce moment d’humanité absolue : le jeune Guinéen se retrouve dans le salon d’un vieux monsieur abandonné par un fils qui se contente de lui commander à manger à distance. Ils sont simples et beaux à pleurer, ces trois mots échangés entre ces deux exclus, entre Paris et la Guinée-Conakry. Elles sont atrocement sadiques, en revanche, les piques d’une poignée de policiers qui « taquinent » Souleymane pour passer le temps… On est en apnée, et puis le Guinéen, dont chaque supplication brise le cœur, peut repartir, et courir pour tenter d’attraper ce car vers le centre d’accueil où, enfin, un peu de chaleur, une couche et un repas l’attendent. Il demande toujours le même lit à côté d’un Arabe amical. « Nous avons l’habitude de dormir ensemble » : un résumé magnifique de l’entraide entre damnés de la terre… Au-delà de la mise en scène en immersion, l’écriture est d’une précision chirurgicale. Le suspense grandit au fil de cette chronique du combat pour rester digne en quarante-huit heures chrono. Avec sa coscénariste Delphine Agut, Boris Lojkine s’est ouvertement inspiré du cinéma roumain, notamment de l’exceptionnel Mort de Dante Lazarescu (de Cristi Puiu, en 2005), pour raconter par le menu, minute après minute, les efforts d’un personnage qui se débat contre un système, une ville, le mépris des restaurateurs et des injonctions à répétition qui l’oppressent. Le tout tendu vers la scène finale, cet entretien, donc, où, d’abord, Souleymane va mentir, face à une Nina Meurisse superbe de (fausse) dureté en fonctionnaire de l’Ofpra – Office français de protection des réfugiés et apatrides. Quelle est la vérité de Souleymane ? Lui donne-t-elle le « droit » d’être accueilli en France ? Le réalisateur nous questionne, nous aussi, en nous jetant littéralement ce choix au visage. La fièvre, le mouvement perpétuel restent en mémoire pendant que nous écoutons, comme cette fonctionnaire, l’histoire du jeune homme et de sa maman. Et la seule manière de l’interprète, Abou Sangare, de prononcer le mot « maman » est, il n’y a aucun doute, le plus bouleversant moment de cinéma de l’année. ABOU SANGARE, UN ACTEUR EST NÉLe cinéma est rempli d’acteurs d’un jour, choisis lors de castings sauvages, pour leur authenticité et leur affinité avec un sujet. C’est ainsi que le réalisateur Boris Lojkine et sa directrice de casting Aline Dalbis ont fini par trouver, à Amiens, grâce à une association, Abou Sangare, Guinéen de 23 ans, arrivé en France sept ans plus tôt, encore mineur. Mais le jeune homme s’est révélé un véritable et exceptionnel acteur, primé dans la section Un certain regard, à Cannes, alors qu’une obligation de quitter le territoire français lui était tombée sur la tête quelques semaines avant le début du Festival. Il faut le regarder, dans le film, retenir (ou pas) sa colère devant les rebuffades, ne plus pouvoir contenir ses larmes quand on le pousse dans l’escalier, ou exiger qu’on lui passe au téléphone sa mère malade… : assister à la naissance d’un tel comédien, le voir transmettre une souffrance si proche de la sienne, répond, indéniablement, à ceux qui prétendent que l’immigration n’est pas une chance pour la France.
Année : 2024
Avec : Abou Sangaré, Alpha Oumar Sow, Amadou Bah, Boris Lojkine, Emmanuel Yovanie, Ghislain Mahan, Karim Bouziane, Keita Diallo, Mamadou Barry, Nina Meurisse, Yaya Diallo, Younoussa Diallo
DVD/Blu-ray : 18 février
Editeur : Pyramide Vidéo
Année : 2024
De : Boris Lojkine
Avec : Abou Sangare, Nina Meurisse, Emmanuel Yovanie, Younoussa Diallo, Keita Diallo, Ghislain Mahan, Mamadou Barry, Yaya Diallo
DVD/Blu-ray : 18 février
Editeur : Pyramide Vidéo
Année : 2024
De : Boris Lojkine
Avec : Abou Sangare, Nina Meurisse, Emmanuel Yovanie, Younoussa Diallo, Keita Diallo, Ghislain Mahan, Mamadou Barry, Yaya Diallo