Olivier Raynal : passages TV

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Récemment en juin
 

The Substance

Télévision : 9 juin à 00:44-03:01 sur Canal +

film d'horreur

Ancienne star hollywoodienne devenue animatrice d'une émission d'aérobic, Elisabeth Sparkle est licenciée par son producteur le jour de ses 50 ans, ce dernier la jugeant désormais trop âgée. Alors que son moral est au plus bas, Elisabeth se voit proposer par un mystérieux laboratoire de tester une substance miraculeuse qui lui permettra de créer une nouvelle version d'elle-même, plus jeune et plus belle. Elisabeth commande une dose du sérum de jouvence et se l'injecte, donnant naissance à Sue, son double amélioré. Cette autre Elisabeth offre à l'ancienne actrice une seconde chance de briller sous les projecteurs, mais le prix de la beauté et de la jeunesse retrouvées sera très élevé... - Critique : Aussi frappé que frappant, doublement marteau donc, The Substance enfonce le clou de sa monomanie dans la rétine du spectateur. D’une idée-force, fixe, névrose assénée quasi jusqu’à l’overdose – misogynie et âgisme intériorisés infligent l’enfer au corps féminin –, la cinéaste Coralie Fargeat (Revenge, 2017) tire un film de body horror spectaculaire, un festin cru, dégoûtant, réjouissant pour peu que l’ambiance alentour s’y prête. De fait, mieux vaut savourer en salle ce cinéma de genre à la rage genrée, revigorant coup de sang accueilli sur la Croisette par des rires, des disputes et, contre toute attente, le Prix du scénario. Des fesses et de leur date de péremption, The Substance fait à la fois son miel et son fioul. Celles d’Elizabeth Sparkle (Demi Moore, ressuscitée) n’ont plus l’heur de plaire à Harvey (Dennis Quaid), le patron de la chaîne de télé où cette ancienne actrice oscarisée s’est recyclée en reine de l’aérobic. Le jour de son anniversaire, la belle brune à vagues ridules apprend qu’au-delà de cette limite, son ticket n’est plus valable : « À 50 ans, ça s’arrête ! » Sauf si la science-fiction s’en mêle et remplace le fameux portrait de Dorian Gray par une substance fluo permettant d’accoucher d’une « meilleure » version de soi-même – comprendre : plus jeune, plus belle. Dès lors, deux corps, l’ancien et le nouveau, coexistent, l’un en sommeil, l’autre aux affaires, sommés d’intervertir leur place après sept jours sous peine d’altérations irréversibles. La vie en garde alternée, en somme. Mais qui voudrait redevenir une « vieille peau » une semaine sur deux ? Du dos déchiré d’Elizabeth émerge Sue (idéale Margaret Qualley), peau de pêche, seins en pomme, bouche en cerise, et un derrière à damner le loup de Tex Avery. Comme jadis Verhoeven dans Showgirls, la cinéaste s’en repaît, remplaçant l’ironie par une froide avidité, de scènes de douches insistantes en frénétiques ondulations télévisées – car, bien sûr, la jeunette récupère le job d’Elizabeth, réduite à cuisiner (de l’aligot !) en maudissant cette rivale qui n’est autre qu’elle-même. Victime d’une cancel culture bien réelle, qui a longtemps poussé les stars vieillissantes hors champ, le personnage échappe pourtant à tout réalisme : elle se résume à une faille narcissique béante, sans ami, ni famille, ni centre d’intérêt. Sans raison d’être loin des regards. Une indéniable puissance plastique Film mental, The Substance confine Elizabeth dans un appartement dont la baie vitrée domine Los Angeles et donne précisément, trouvaille cruelle, sur un panneau publicitaire géant. Sue s’y affiche, triomphante, condamnant l’aînée à ressasser ses complexes jusqu’à la folie. Une longue scène muette, poignante, la saisit face à son miroir, pomponnée pour sortir avec un homme mais incapable de sauter le pas, se scrutant, se remaquillant, se barbouillant plutôt, pour finir par ressembler au Joker – la haine de soi, substrat de The Substance. S’il n’y a qu’une idée à l’œuvre, Coralie Fargeat l’exploite jusqu’à la moelle et en tire des visions insensées, d’une indéniable puissance plastique. La chair vire au cauchemar, comme chez David Cronenberg, auquel on pense immanquablement alors que l’héroïne, boulimique, extrait un pilon de volaille de son nombril. Ou quand Monstro, autre avatar issu de ce pacte faustien, amas grotesque de visages et de parties charnues, pond… un sein, solitaire et absurde, résidu d’un monde où le deuxième sexe se consomme à la découpe. L’autrice aurait gagné à tailler un peu le film, sans doute, ou à éviter des citations anecdotiques de Kubrick (la moquette évoquant Shining, la musique de 2001, l’Odyssée de l’espace). Il n’empêche, derrière le salut à ses pères, les hommages à Carrie de Brian De Palma ou à Scanners de Cronenberg, sa conclusion furieuse laisse éclater, dans des hectolitres de sang, une colère qui n’appartient qu’à elle mais parle pour nous toutes.

Année : 2024

Avec : Caroline Bouquet, Demi Moore, Dennis Quaid, Edward Hamilton-Clark, Gore Abrams, Hugo Diego Garcia, Manon Bouquet, Margaret Qualley, Marion Motin, Matthew Géczy, Olivier Raynal, Oscar Lesage, Philip Schurer, Robin Greer, Tiffany Hofstetter