Télévision : 10 mai à 21:00-22:40 sur France 4
film : drame
Elle est d'origine française, galeriste, et assiste, en Italie, à une conférence. Lui, le conférencier, est un écrivain quinquagénaire anglo-saxon venu parler de son dernier livre qui aborde l'épineux thème des relations entre l'original et la copie dans l'art. Elle est un peu perdue, il est un bellâtre narcissique et opportuniste. Séduite, la jeune femme invite le critique d'art à visiter sa galerie et lui demande de dédicacer les exemplaires de son livre qu'elle a achetés pour elle, mais également pour bon nombre de ses amis. Puis, ils partent passer quelques heures à San Gimignano, un petit village près de Florence. Mais comment distinguer la copie de l'original, la réalité de la fiction ?... - Critique : Le nouveau film d’Abbas Kiarostami, en salles depuis une semaine, était précédé par une bande-annonce accrocheuse. Un simple extrait, montrant Juliette Binoche fébrile face à un miroir, se maquillant – trop – les lèvres et essayant de grosses boucles d’oreilles. Cette fébrilité était-elle l’exaltation d’un premier rendez-vous, ou bien l’énergie du désespoir, la panique devant une cause perdue ? La question revient, et demeure longtemps, dans le film - qui était en compétition à Cannes. Une femme et un homme se promènent et se parlent, entre badinage et joute érudite, dans le sud de la Toscane. Elle est galeriste, installée là depuis quelques années. Il est écrivain, apparemment de passage pour une conférence. Viennent-ils de se rencontrer comme on le croit d’abord ? Sont-ils mariés depuis quinze ans comme on le pense ensuite ? Autrement dit : leur échange est-il un « original », ou bien la répétition d’une première fois et de bien des fois suivantes ? Le film décline ce thème de la copie avec une belle constance, quasi maniaque : il s’agit aussi bien des œuvres (c’est le sujet de ladite conférence) que du rapport entre la vie (l’authentique ?) et l’art (l’imitation ?). Mais aussi entre les périodes successives de l’existence : sommes-nous condamnés, s’interrogent de moins en moins secrètement l’homme et la femme, à devenir les (mauvaises) copies de nous-mêmes ? Pour que le « dispositif » soit complet, il fallait que le film renvoie à un modèle, et c’est de toute évidence à Voyage en Italie, de Roberto Rossellini, qui suivait la dérive autour de Naples d’un couple de touristes (Ingrid Bergman et George Sanders), étrangers à tous les sens du terme. Ce voyage est aussi celui d’Abbas Kiarostami : il tourne pour la première fois hors d’Iran, dans une autre langue que la sienne, et avec une comédienne vedette - dans le rôle masculin, le chanteur d’opéra William Shimell, débute, lui, à l’écran, avec une froideur altière. Grand metteur en scène mystérieux (Palme d’or pour Le Goût de la cerise), formaliste surdoué, guetteur de vérité accidentelle, que donne Kiarostami si loin de ses habitudes ? Un style étrange, incertain, où la science des cadrages se mêle à une série de décalages, de dissonances dans le jeu des acteurs. Voulu ou non, le mélange sert le sentiment de malentendu, d’éloignement qui gagne les personnages. Le traitement réservé à Juliette Binoche est passionnant en soi. Comme d’autres cinéastes avec qui elle a tourné ces dernières années (dont Hou Hsiao-hsien et Olivier Assayas), Kiarostami semble, d’abord, la filmer presque à ses dépens, en surrégime, avec des fausses notes qui dessinent une femme artificielle, affectée, mauvais stratège. Mais, avec lui, le jeu en vaut vraiment la chandelle, car il la montre aussi à nu, sans protection ni autre argument qu’une abyssale demande de tendresse, et, par contraste, elle devient émouvante pour de bon. Faut-il préciser que la « conformité » du film à Voyage en Italie n’est qu’un leurre ? Aux ruines de Pompéi, catalyseur inattendu des sentiments chez Rossellini, répond, chez Kiarostami, une Toscane livrée aux lunes de miel en série et aux tristes pèlerinages conjugaux, arpentée en vain par les copistes du grand amour originel.
Année : 2010
Avec : Adrian Moore, Andrea Laurenzi, Angelo Barbagallo, Filippo Trojano, Gianna Giachetti, Jean-Claude Carrière, Juliette Binoche, Manuela Balsimelli, Natanson Agathe, William Shimell