Télévision : 29 avril à 01:31-03:53 sur Canal +
film : drame
En 2044, alors que le monde est dominé par l'intelligence artificielle, Gabrielle fait face à un dilemme. Pour continuer à développer son potentiel, la jeune femme doit accepter de purifier son ADN en se débarrassant des émotions profondément ancrées dans son esprit, et désormais considérées comme une véritable menace. Pour atteindre cet objectif, Gabrielle effectue un voyage dans le temps afin de se replonger dans ses vies antérieures et y dénicher les éléments qui constituent un obstacle à son épanouissement. Elle retourne donc au début du XXe siècle pour y retrouver Louis, l'homme mystérieux qu'elle fréquentait à cette époque... - Critique : N’ayons pas peur de La Bête, œuvre non classifiée, comme il en va de certaines espèces. Il faut se faire attraper, accepter la morsure, laisser agir le venin. Et le film alien peut devenir un ami. Sous ses dehors de chimère, il parle de l’humain et de l’humanité, du risque de leur évaporation… Et puis c’est un film d’amour. Deux êtres aimantés l’un par l’autre s’y croisent et recroisent à différentes époques. 2044. Gabrielle (Léa Seydoux) vit dans un monde, le nôtre, qui a mal tourné, du moins de son point de vue de mortelle. L’intelligence artificielle a pris le pouvoir et réglé, à sa manière, tous les problèmes. Les individus de chair et de sang, devenus inutiles, presque surnuméraires, sont sommés, pour rester dans la course, de subir un traitement de « purification » psychique, destiné à abolir leurs affects. Lors de cette opération, ils revoient et revivent mentalement les moments de leur passé qui concentrent leurs émotions. Et Gabrielle a eu plusieurs existences… Voilà donc un cinéaste étiqueté art et essai, Bertrand Bonello, le réalisateur esthète de L’Apollonide et de Saint Laurent, qui effectue un spectaculaire double salto. À la fois, il nous plonge dans une science-fiction dystopique et nous invite à croire aux vies antérieures. Soit deux pistes fantastiques distinctes, mais qui se rejoindront. Car derrière son foisonnement baroque, le film raconte une seule histoire, simple et puissante, de sa première à sa dernière image. Cette histoire provient d’une célèbre nouvelle de l’écrivain américain Henry James, publiée en 1903, La Bête dans la jungle. Son personnage principal se caractérise par le pressentiment qu’une immense catastrophe l’attend, personnellement, tôt ou tard. Dans le film, Gabrielle s’en ouvre à un homme, Louis (George MacKay), dès le début du XXᵉ siècle. Comme chez Henry James, la confidence les rapproche, fait naître une attirance mutuelle entre eux. Mais la jeune femme est mariée, le grand amour en puissance risque de rester lettre morte. Rendez-vous dans une autre vie ? L’époque suivante dont Gabrielle se souvient est toute différente : en 2014, elle cherche à faire carrière à Hollywood. Gardant une villa pour gagner de l’argent, elle retrouve alors Louis sous les traits d’un psychopathe rôdant alentour, obsédé par sa virginité subie et le dégoût qu’il pense inspirer aux filles… Les vies successives de l’héroïne composent un triptyque fascinant, où les correspondances, les récurrences mais aussi les différences nourrissent le suspense et l’imagination. Quel est donc l’événement terrible redouté depuis toujours par Gabrielle ? Les deux personnages pourront-ils un jour partager davantage que cette prémonition ? Avec un scénario aussi sophistiqué, Bertrand Bonello peut sortir le grand jeu, explorer plusieurs genres cinématographiques en parallèle, du mélodrame au thriller. Ne plus rien ressentir, ne plus jamais aimer ? Le film en costumes de 1910 est ainsi une délicate évocation du Paris des salons cultivés. Les sentiments y sont exprimés, analysés, prisés. Le danger qui guette est la crue exceptionnelle de la Seine cette année-là, mais ce n’est pas exactement la catastrophe à laquelle Gabrielle se prépare… En 2014, à Los Angeles, on se croirait plutôt chez David Lynch, avec les mirages et la mainmise de l’industrie du spectacle sur les êtres, la paranoïa et la schizophrénie qui couvent. Le sexe est une obsession omniprésente, virant à la frustration dangereuse chez ceux qui en sont privés. Et un tremblement de terre menace, mais ce n’est toujours pas précisément la catastrophe qui fait cauchemarder Gabrielle. Quand aux scènes qui représentent 2044, elles arrivent à point nommé, avec leur calme glacé, pour alimenter la réflexion actuelle sur l’intelligence artificielle. Dans cette dystopie, la propension humaine à fabriquer des artefacts (comme les poupées en porcelaine, puis en bakélite, assemblées au XXᵉ siècle par le mari industriel de Gabrielle) s’est définitivement retournée contre nous. Le maillon faible devient le vivant lui-même, chez qui les désirs, les doutes et les peurs limitent l’efficacité. Se débarrasser de sa sensibilité semble donc une aubaine, voire une nécessité. Mais, là est le dilemme de l’héroïne, la perspective de ne plus souffrir est aussi celle de ne plus rien ressentir, de ne plus jamais aimer. La Bête est non seulement un film romanesque, mais aussi profondément romantique, hanté par la disparition des sentiments comme le fut, en son temps, L’Éclipse, d’Antonioni, sur fond de financiarisation du monde. Entre terreurs primitives et ténèbres technologiques, la lumière vient ici du personnage féminin, autant dire de Léa Seydoux, presque tout le temps à l’image. Qu’elle joue l’opacité dans la première époque, la vulnérabilité dans la deuxième, ou la subversion enfin, elle incarne l’unité de l’ensemble, endosse magnifiquement la cause défendue. En retour, La Bête offre à l’actrice de faire entendre sa voix comme peu de films auparavant. Jusqu’à faire entendre, littéralement, son cri. L’OMBRE DE GASPARD ULLIELÉlégant amoureux platonique au début du film, solitaire rongé par l’exclusion sexuelle ensuite, l’homme de La Bête s’inscrit dans une lignée de personnages masculins extrêmement singuliers qui peuplent l’univers de Bertrand Bonello. Ainsi Laurent Lucas dans Tiresia (2003), tortionnaire comme surgi d’un film de Robert Bresson, ou Finnegan Oldfield dans Nocturama (2016), idéaliste kamikaze préférant la mort à la société néolibérale. Le plus mémorable reste Gaspard Ulliel dans le costume d’un Saint Laurent (2014) insaisissable, étranger en son propre royaume. C’est à Ulliel, mort pendant la préparation du film, en janvier 2022, que La Bête était destiné — et, aujourd’hui dédié. En choisissant, pour le remplacer, l’Anglais George MacKay (révélé par 1917, de Sam Mendes), Bonello met en lumière plusieurs visages d’un acteur insolite et captivant.
Année : 2023
Avec : Dasha Nekrasova, Elina Löwensohn, Felicien Pinot, George MacKay, Guslagie Malanga, Julia Faure, Kester Lovelace, Laurent Lacotte, Lukas Ionesco, Léa Seydoux, Marta Hoskins, Martin Scali
Télévision : 24 avril à 09:47-11:05 sur Canal +
film : comédie noire
Florence, une séduisante trentenaire, est convaincue d'avoir rencontré l'homme de sa vie en la personne de David, un beau ténébreux quelque peu imbu de sa personne. Follement amoureuse, elle souhaite présenter ce dernier à Guillaume, son père, un banquier très bavard. Malheureusement, Florence ignore que David n'a aucune intention de se lancer dans une relation sérieuse avec elle. Il désire en réalité se débarrasser de Florence en la jetant dans les bras de Willy, un de ses amis. Tous les quatre se retrouvent autour d'une table, dans un restaurant au décor désuet perdu au milieu de nulle part. Dans ce lieu isolé et hors du temps, la frontière entre réel et fiction se brouille... - Critique : Comment concilier le système D et le star-système ? Ce défi, Quentin Dupieux fait en sorte de le relever à chacun de ses films. C’est un homme-orchestre, on le sait, qui se charge d’à peu près tout dans son cinéma (scénario, image, réalisation, montage), sauf de l’interprétation. Le cinéaste a donc besoin des acteurs, surtout des célébrités, qui lui permettent de financer ses films, tournés très vite, avec une économie de moyens. Est-ce à dire qu’il profite de leur talent par cynisme ? Non, l’hurluberlu barbu les admire et sait ce qu’il leur doit. Mais on devine que cette passion est conflictuelle, teintée d’agacement. Le Deuxième Acte, présenté en ouverture du 77ᵉ Festival de Cannes, surjoue cartes sur table ce tiraillement, à travers l’histoire d’un tournage. Un tournage spécial, car, bien évidemment, nous voilà une fois encore transportés en Absurdie. Au pays du non-sens. Soit quatre acteurs de profession, qui incarnent chacun un personnage. Le premier qui apparaît est David (Louis Garrel), un tombeur poursuivi par une jeune femme, Florence (Léa Seydoux), folle amoureuse de lui. Il aimerait s’en défaire en la poussant dans les bras de Willy (Raphaël Quenard), un bon pote à lui, avec lequel il échange longuement, en marchant sur une route. De son côté, Florence tient absolument à présenter David à son père (Vincent Lindon). Les quatre se retrouvent un moment, dans un restoroute, au milieu de nulle part. Curieuse intrigue, qui semble bien faible, à nous, spectateurs, mais aussi aux acteurs – l’un parle de « daube » à son partenaire de jeu. Mais cette médiocrité est troublée par le fait qu’assez vite on ne sait plus très bien si les répliques des acteurs renvoient à une répétition, à la vraie prise ou à des conversations hors de leur rôle. Film dans le film, strates de réalité multiples, confusion entre réel et fiction : on reconnaît la griffe Dupieux et son usage de la mise en abyme, source de vertige. L’excentrique s’amuse cette fois avec le statut des quatre stars en question, leur degré de célébrité, leur « image », qu’il caricature ou déjoue. Au-delà, il raille l’égocentrisme démesuré, la compétition et l’entre-soi, l’obsession de séduire et la docilité des comédiens. La satire est à la fois féroce et tendre. Souvent percutante dans l’humour, car connectée aux débats qui agitent la société actuelle. En vrac, et pour ne pas trop divulguer, citons juste quelques-uns des thèmes sur lesquels les effets hilarants s’appuient : le genre et les orientations sexuelles, le petit rail de coke sniffé en catimini, la liberté d’expression brimée, le harcèlement, l’intelligence artificielle, le chaos annoncé avec le dérèglement climatique, Paul Thomas Anderson… Le Deuxième Acte se focalise uniquement sur la parole des acteurs, faisant le vide autour de ces derniers. Il prolonge la mise à nu de Yannick, n’emploie qu’un seul décor (le restoroute) mais cette fois nous entraîne à l’extérieur, dans une campagne que Dupieux a le chic de rendre floue, ne filmant pour ainsi dire que le ciel, bas et lourd ! Toujours inventive et originale avec trois fois rien, sa mise en scène crée dans la plupart des séquences quelque chose qui attire immanquablement l’œil et le retient. À l’exemple de ce tour de force inaugural, long échange entre David et Willy filmé dans un travelling qui semble durer aussi longtemps que celui de Week-end, de Godard (neuf minutes !). Le film est une comédie loufoque mais au fond gris, sinistre. Celui qui fait le plus rire ici est aussi celui qui émeut. Dans l’ombre des quatre célébrités, il est la fausse cinquième roue du carrosse. Il s’appelle Manuel Guillot, c’est un inconnu ou presque, qui joue le patron du restoroute, tétanisé par l’angoisse de bien faire. À travers lui se joue l’opposition entre les « vrais gens » et les privilégiés hors-sol. On pourra éventuellement juger ce ressort un brin facile. Sauf à considérer que le manque de reconnaissance et l’estime de soi broyée sont en effet redoublés par le pouvoir actuel des images.
Année : 2024
Avec : Françoise Gazio, Louis Garrel, Léa Seydoux, Manuel Guillot, Raphaël Quenard, Vincent Lindon
Télévision : 17 avril à 14:31-15:49 sur Canal +
film : comédie noire
Florence, une séduisante trentenaire, est convaincue d'avoir rencontré l'homme de sa vie en la personne de David, un beau ténébreux quelque peu imbu de sa personne. Follement amoureuse, elle souhaite présenter ce dernier à Guillaume, son père, un banquier très bavard. Malheureusement, Florence ignore que David n'a aucune intention de se lancer dans une relation sérieuse avec elle. Il désire en réalité se débarrasser de Florence en la jetant dans les bras de Willy, un de ses amis. Tous les quatre se retrouvent autour d'une table, dans un restaurant au décor désuet perdu au milieu de nulle part. Dans ce lieu isolé et hors du temps, la frontière entre réel et fiction se brouille... - Critique : Comment concilier le système D et le star-système ? Ce défi, Quentin Dupieux fait en sorte de le relever à chacun de ses films. C’est un homme-orchestre, on le sait, qui se charge d’à peu près tout dans son cinéma (scénario, image, réalisation, montage), sauf de l’interprétation. Le cinéaste a donc besoin des acteurs, surtout des célébrités, qui lui permettent de financer ses films, tournés très vite, avec une économie de moyens. Est-ce à dire qu’il profite de leur talent par cynisme ? Non, l’hurluberlu barbu les admire et sait ce qu’il leur doit. Mais on devine que cette passion est conflictuelle, teintée d’agacement. Le Deuxième Acte, présenté en ouverture du 77ᵉ Festival de Cannes, surjoue cartes sur table ce tiraillement, à travers l’histoire d’un tournage. Un tournage spécial, car, bien évidemment, nous voilà une fois encore transportés en Absurdie. Au pays du non-sens. Soit quatre acteurs de profession, qui incarnent chacun un personnage. Le premier qui apparaît est David (Louis Garrel), un tombeur poursuivi par une jeune femme, Florence (Léa Seydoux), folle amoureuse de lui. Il aimerait s’en défaire en la poussant dans les bras de Willy (Raphaël Quenard), un bon pote à lui, avec lequel il échange longuement, en marchant sur une route. De son côté, Florence tient absolument à présenter David à son père (Vincent Lindon). Les quatre se retrouvent un moment, dans un restoroute, au milieu de nulle part. Curieuse intrigue, qui semble bien faible, à nous, spectateurs, mais aussi aux acteurs – l’un parle de « daube » à son partenaire de jeu. Mais cette médiocrité est troublée par le fait qu’assez vite on ne sait plus très bien si les répliques des acteurs renvoient à une répétition, à la vraie prise ou à des conversations hors de leur rôle. Film dans le film, strates de réalité multiples, confusion entre réel et fiction : on reconnaît la griffe Dupieux et son usage de la mise en abyme, source de vertige. L’excentrique s’amuse cette fois avec le statut des quatre stars en question, leur degré de célébrité, leur « image », qu’il caricature ou déjoue. Au-delà, il raille l’égocentrisme démesuré, la compétition et l’entre-soi, l’obsession de séduire et la docilité des comédiens. La satire est à la fois féroce et tendre. Souvent percutante dans l’humour, car connectée aux débats qui agitent la société actuelle. En vrac, et pour ne pas trop divulguer, citons juste quelques-uns des thèmes sur lesquels les effets hilarants s’appuient : le genre et les orientations sexuelles, le petit rail de coke sniffé en catimini, la liberté d’expression brimée, le harcèlement, l’intelligence artificielle, le chaos annoncé avec le dérèglement climatique, Paul Thomas Anderson… Le Deuxième Acte se focalise uniquement sur la parole des acteurs, faisant le vide autour de ces derniers. Il prolonge la mise à nu de Yannick, n’emploie qu’un seul décor (le restoroute) mais cette fois nous entraîne à l’extérieur, dans une campagne que Dupieux a le chic de rendre floue, ne filmant pour ainsi dire que le ciel, bas et lourd ! Toujours inventive et originale avec trois fois rien, sa mise en scène crée dans la plupart des séquences quelque chose qui attire immanquablement l’œil et le retient. À l’exemple de ce tour de force inaugural, long échange entre David et Willy filmé dans un travelling qui semble durer aussi longtemps que celui de Week-end, de Godard (neuf minutes !). Le film est une comédie loufoque mais au fond gris, sinistre. Celui qui fait le plus rire ici est aussi celui qui émeut. Dans l’ombre des quatre célébrités, il est la fausse cinquième roue du carrosse. Il s’appelle Manuel Guillot, c’est un inconnu ou presque, qui joue le patron du restoroute, tétanisé par l’angoisse de bien faire. À travers lui se joue l’opposition entre les « vrais gens » et les privilégiés hors-sol. On pourra éventuellement juger ce ressort un brin facile. Sauf à considérer que le manque de reconnaissance et l’estime de soi broyée sont en effet redoublés par le pouvoir actuel des images.
Année : 2024
Avec : Françoise Gazio, Louis Garrel, Léa Seydoux, Manuel Guillot, Raphaël Quenard, Vincent Lindon