Edward Morgan : derniers films au cinéma

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Antérieurement en 2017
 

Les vestiges du jour

Télévision : 25 décembre 2017 à 22:45-01:15 sur Chérie 25

film : drame

A Darlington Hall, Stevens, le majordome, régente l'ordre immuable des choses. L'amour, en la personne de miss Kenton, est un désordre. Beau portrait, pathétique, d'un homme qui sacrifie tout à son sens du devoir domestique. Critique : Pour : Une mise en scène inventive... Dans la campagne anglaise, une voiture roule à vive allure. L'herbe est d'un vert lumineux, la carrosserie d'un bleu canard. Ces deux couleurs, pourtant antagonistes, semblent se compléter. Tout comme sont antagonistes et se complétent Monsieur Stevens et Miss Kenton. Lui, ce serait plutôt le vert de la campagne anglaise : immuable, inamovible, éternel. Un rien compassé dans son bel habit noir, il a le port de tête altier qui sied à son rang : le plus élevé parmi les domestiques. Car Stevens est majordome. Il cultive la dignité. Et, pour lui, la dignité consiste à ne rien laisser paraître. Ni de ce qu'on pense ni de ce qu'on ressent. Servir le maître, faire tout pour le servir bien : voilà sa devise. Miss Kenton fait, à son arrivée au château de Darlington Hall, le même effet que la voiture bleu canard au milieu du paysage verdoyant. Elle surprend, mais séduit. Miss Kenton est un peu jeune pour être gouvernante, mais elle a de la prestance et des références. Ainsi que la fâcheuse manie de tenir tête à Stevens en toute circonstance. De sa présence naissent des dissonances. Et, bizarrement, de ces dissonances naît quelque chose qui ressemble à l'harmonie. Les Vestiges du jour, c'est cela : la rencontre entre deux caractères qui se heurtent et pourraient aller si bien ensemble, si bien et si loin. Mais voilà, Monsieur Stevens, à force de ne rien montrer de ce qu'il pense et de ce qu'il ressent, finit par oublier qu'il pense et qu'il ressent. Obsédé par sa tâche et sa dignité de majordome, il passe à côté de Miss Kenton. A côté de l'amour et du bonheur, tout simplement. Pensant que ce qu'il regarde ne le regarde pas, il ne se mêle pas de ce qui se passe dans sa propre maison. Et il s'en passe des choses ! Lord Darlington, dieu et maître de Stevens, a rendez-vous avec l'Histoire : en 1936, le spectre d'une Deuxième Guerre mondiale affole l'Angleterre. Pour l'éviter, certains lords dont Darlington font alliance avec l'Allemagne nazie. Comme Stevens, lord Darlington se trompe. En se trompant, il gâche sa vie. La confrontation de mondes que tout oppose et la fin d'une époque ­ de Shakespeare Wallah, son premier film sorti en France, à Retour à Howard's End ­, James Ivory n'a jamais parlé que de ça. Il y avait, dans le sublime roman de Kazuo Ishiguro, de quoi plaire à cet amoureux de littérature en général et de Edward Morgan Forster et Henry James en particulier. Comme Forster, comme James, Ishiguro est un homme à cheval sur deux cultures : né au Japon, il vit en Angleterre depuis l'âge de 6 ans. Et James Ivory, on le sait, a vécu en Inde et reste le plus british des metteurs en scène américains. « Vous devriez prendre des vacances, sortir de cette maison et voir le monde », dit le nouveau propriétaire du château à Stevens. « Avant, le monde venait à nous », répond celui-ci avec révérence. Mais ce temps-là est fini. Il ne reviendra plus. Stevens part en voyage à bord de la traction bleu canard de son patron, il part aussi en voyage dans ses souvenirs. Que reste-t-il d'une vie consacrée à une fausse idée de la vie ? Des remords et quelques ruines. C'est le constat douloureux que fait Monsieur Stevens, au crépuscule de son âge, alors que le château, racheté par un Américain, ne sera plus jamais ce qu'il fut, alors que Miss Kenton ne pourra plus jamais l'aimer autrement qu'en amie. Les Vestiges du jour s'ouvre sur un travelling avant nous amenant, à la suite d'une voiture, aux abords de la propriété de Darlington Hall. Il se ferme sur un mouvement à la grue qui s'en éloigne, tandis qu'un pigeon s'envole par la fenêtre ouverte. Entre les deux, la caméra d'Ivory est à la fois fluide et discrète. A l'image du majordome, elle se déplace rapidement, sans s'attarder sur les détails du décor, pourtant somptueux : elle contourne une haie taillée au cordeau, descend un escalier monumental, longe une tablée de convives. Quand elle se fixe, c'est pour observer ce que Stevens regarde à la demande expresse de Miss Kenton. Un détail d'intendance : une statue chinoise qui n'est pas à la bonne place, une balayette malencontreusement oubliée sur un palier. Un détail touchant : un vieux serviteur fatigué ­ qui n'est autre que le père de Stevens ­ s'exerçant à marcher sans tomber sur des dalles disjointes, avec un plateau fictif. L'adaptation de Ruth Prawer Jhabvala, scénariste de James Ivory depuis Shakespeare Wallah, ressemble à la mise en scène : scrupuleuse et inventive. La plus belle scène du film voit Miss Kenton houspiller Stevens et le pousser dans ses retranchements, jusqu'à ce qu'il accepte de montrer la couverture du livre qu'il est en train de lire. Dans le roman, c'est une scène magnifique et émouvante ; chez Ivory, elle devient, en plus, charnelle et érotique : comme si le seul moyen que ces deux-là avaient trouvé pour se rapprocher était de se heurter sans cesse. Pour passer de sentiments littéraires à des êtres de chair, il fallait aussi des comédiens de génie. James Fox, trente ans après The Servant, retrouve le rôle de lord qui lui va si bien, sans subir cette fois l'ascendant de son valet, qui lui restera dévoué jusque après sa mort. Monsieur Stevens, c'est Anthony Hopkins, qui fait magnifiquement passer dans ses yeux bleus l'ombre des douleurs que tout son être s'attache à rendre imperceptibles. Il retrouve sa partenaire de Retour à Howard's End, Emma Thompson, très à l'aise dans la volubilité fragile de Miss Kenton. Film mélancolique et crépusculaire, Les Vestiges du jour est, sans doute, le plus beau que James Ivory nous ait offert depuis longtemps - Isabelle Danel Contre : ... Ou paresseuse ? Dieu sait qu'on a aimé James Ivory, l'ethnographe ! Celui qui démontait, avec une cruauté insidieuse, les moeurs hollywoodiennes (The Wild Party), l'inconscience des nantis indiens (Autobiographie d'une princesse) ou ces peuplades qui retombaient dans l'hébétude dès lors qu'elles croyaient avoir atteint les hauteurs de la civilisation (Savages). Hélas, un beau jour, Ivory a découvert le formalisme, et la belle image l'a emporté sans espoir de retour ­ si, un seul, à Howard's End, l'an dernier. Les Vestiges du jour est exactement ce que l'on attend d'un cinéaste si bien arrivé qu'il ne songe plus à aller nulle part. Aucun risque. Aucune invention. Aucune audace. Du cinéma pépère. En charentaises. L'audace, la vraie, pour Ivory, aurait consisté à ne pas filmer au millimètre près la distance entre un couteau d'argent et un verre en cristal. Ce qu'il sait faire, ô combien ! Non, ce qu'il aurait dû, c'est chercher ­ et trouver ­ une façon de traduire visuellement le style de l'écrivain, Kazuo Ishiguro : cette langue où les mots, obsessionnellement répétés, deviennent une réflexion effrayante et glacée sur la dignité, la soumission et la responsabilité. Dans le film, la glace est là, mais l'effroi manque. Comme il le fait de plus en plus souvent, à présent, c'est la lettre qu'illustre Ivory et non pas l'esprit. Alors, oui, bon, d'accord, devant un éclair qui anime l'oeil d'Anthony Hopkins, on se dit : « Oh, comme c'est profond ! » Et quand Emma Thompson (parfaite, toujours aussi parfaite) s'éloigne dans son bus, après avoir serré ­ en très gros plan, bien sûr, au cas où on n'aurait pas compris ­ la main de l'homme qu'elle aurait voulu aimer, on se dit : « Oh, comme c'est émouvant ! » Mais non ! A part les acteurs, rien n'est profond, rien n'est émouvant dans ce film qui pèse des tonnes et ne vaut pas très lourd. C'est toujours la même question, en fait. Réussir un film ennuyeux sur l'ennui est-il un gage de réussite ? Et filmer figé des gens figés, comme dans Les Vestiges du jour, est-ce le but d'un artiste ? Non, bien sûr, et Ivory le savait bien dans ses films de jeunesse. On songe à Shakespeare Wallah, Autobiographie d'une princesse ­ ou même à Quartet, d'après Jean Rhys avec Adjani. Et on en éprouve un vrai chagrin - Pierre Murat

Année : 1993

Antérieurement en 2017
 

Les vestiges du jour

Télévision : 12 décembre 2017 à 20:55-23:25 sur Chérie 25

film : drame

A Darlington Hall, Stevens, le majordome, régente l'ordre immuable des choses. L'amour, en la personne de miss Kenton, est un désordre. Beau portrait, pathétique, d'un homme qui sacrifie tout à son sens du devoir domestique. Critique : Pour : Une mise en scène inventive... Dans la campagne anglaise, une voiture roule à vive allure. L'herbe est d'un vert lumineux, la carrosserie d'un bleu canard. Ces deux couleurs, pourtant antagonistes, semblent se compléter. Tout comme sont antagonistes et se complétent Monsieur Stevens et Miss Kenton. Lui, ce serait plutôt le vert de la campagne anglaise : immuable, inamovible, éternel. Un rien compassé dans son bel habit noir, il a le port de tête altier qui sied à son rang : le plus élevé parmi les domestiques. Car Stevens est majordome. Il cultive la dignité. Et, pour lui, la dignité consiste à ne rien laisser paraître. Ni de ce qu'on pense ni de ce qu'on ressent. Servir le maître, faire tout pour le servir bien : voilà sa devise. Miss Kenton fait, à son arrivée au château de Darlington Hall, le même effet que la voiture bleu canard au milieu du paysage verdoyant. Elle surprend, mais séduit. Miss Kenton est un peu jeune pour être gouvernante, mais elle a de la prestance et des références. Ainsi que la fâcheuse manie de tenir tête à Stevens en toute circonstance. De sa présence naissent des dissonances. Et, bizarrement, de ces dissonances naît quelque chose qui ressemble à l'harmonie. Les Vestiges du jour, c'est cela : la rencontre entre deux caractères qui se heurtent et pourraient aller si bien ensemble, si bien et si loin. Mais voilà, Monsieur Stevens, à force de ne rien montrer de ce qu'il pense et de ce qu'il ressent, finit par oublier qu'il pense et qu'il ressent. Obsédé par sa tâche et sa dignité de majordome, il passe à côté de Miss Kenton. A côté de l'amour et du bonheur, tout simplement. Pensant que ce qu'il regarde ne le regarde pas, il ne se mêle pas de ce qui se passe dans sa propre maison. Et il s'en passe des choses ! Lord Darlington, dieu et maître de Stevens, a rendez-vous avec l'Histoire : en 1936, le spectre d'une Deuxième Guerre mondiale affole l'Angleterre. Pour l'éviter, certains lords dont Darlington font alliance avec l'Allemagne nazie. Comme Stevens, lord Darlington se trompe. En se trompant, il gâche sa vie. La confrontation de mondes que tout oppose et la fin d'une époque ­ de Shakespeare Wallah, son premier film sorti en France, à Retour à Howard's End ­, James Ivory n'a jamais parlé que de ça. Il y avait, dans le sublime roman de Kazuo Ishiguro, de quoi plaire à cet amoureux de littérature en général et de Edward Morgan Forster et Henry James en particulier. Comme Forster, comme James, Ishiguro est un homme à cheval sur deux cultures : né au Japon, il vit en Angleterre depuis l'âge de 6 ans. Et James Ivory, on le sait, a vécu en Inde et reste le plus british des metteurs en scène américains. « Vous devriez prendre des vacances, sortir de cette maison et voir le monde », dit le nouveau propriétaire du château à Stevens. « Avant, le monde venait à nous », répond celui-ci avec révérence. Mais ce temps-là est fini. Il ne reviendra plus. Stevens part en voyage à bord de la traction bleu canard de son patron, il part aussi en voyage dans ses souvenirs. Que reste-t-il d'une vie consacrée à une fausse idée de la vie ? Des remords et quelques ruines. C'est le constat douloureux que fait Monsieur Stevens, au crépuscule de son âge, alors que le château, racheté par un Américain, ne sera plus jamais ce qu'il fut, alors que Miss Kenton ne pourra plus jamais l'aimer autrement qu'en amie. Les Vestiges du jour s'ouvre sur un travelling avant nous amenant, à la suite d'une voiture, aux abords de la propriété de Darlington Hall. Il se ferme sur un mouvement à la grue qui s'en éloigne, tandis qu'un pigeon s'envole par la fenêtre ouverte. Entre les deux, la caméra d'Ivory est à la fois fluide et discrète. A l'image du majordome, elle se déplace rapidement, sans s'attarder sur les détails du décor, pourtant somptueux : elle contourne une haie taillée au cordeau, descend un escalier monumental, longe une tablée de convives. Quand elle se fixe, c'est pour observer ce que Stevens regarde à la demande expresse de Miss Kenton. Un détail d'intendance : une statue chinoise qui n'est pas à la bonne place, une balayette malencontreusement oubliée sur un palier. Un détail touchant : un vieux serviteur fatigué ­ qui n'est autre que le père de Stevens ­ s'exerçant à marcher sans tomber sur des dalles disjointes, avec un plateau fictif. L'adaptation de Ruth Prawer Jhabvala, scénariste de James Ivory depuis Shakespeare Wallah, ressemble à la mise en scène : scrupuleuse et inventive. La plus belle scène du film voit Miss Kenton houspiller Stevens et le pousser dans ses retranchements, jusqu'à ce qu'il accepte de montrer la couverture du livre qu'il est en train de lire. Dans le roman, c'est une scène magnifique et émouvante ; chez Ivory, elle devient, en plus, charnelle et érotique : comme si le seul moyen que ces deux-là avaient trouvé pour se rapprocher était de se heurter sans cesse. Pour passer de sentiments littéraires à des êtres de chair, il fallait aussi des comédiens de génie. James Fox, trente ans après The Servant, retrouve le rôle de lord qui lui va si bien, sans subir cette fois l'ascendant de son valet, qui lui restera dévoué jusque après sa mort. Monsieur Stevens, c'est Anthony Hopkins, qui fait magnifiquement passer dans ses yeux bleus l'ombre des douleurs que tout son être s'attache à rendre imperceptibles. Il retrouve sa partenaire de Retour à Howard's End, Emma Thompson, très à l'aise dans la volubilité fragile de Miss Kenton. Film mélancolique et crépusculaire, Les Vestiges du jour est, sans doute, le plus beau que James Ivory nous ait offert depuis longtemps - Isabelle Danel Contre : ... Ou paresseuse ? Dieu sait qu'on a aimé James Ivory, l'ethnographe ! Celui qui démontait, avec une cruauté insidieuse, les moeurs hollywoodiennes (The Wild Party), l'inconscience des nantis indiens (Autobiographie d'une princesse) ou ces peuplades qui retombaient dans l'hébétude dès lors qu'elles croyaient avoir atteint les hauteurs de la civilisation (Savages). Hélas, un beau jour, Ivory a découvert le formalisme, et la belle image l'a emporté sans espoir de retour ­ si, un seul, à Howard's End, l'an dernier. Les Vestiges du jour est exactement ce que l'on attend d'un cinéaste si bien arrivé qu'il ne songe plus à aller nulle part. Aucun risque. Aucune invention. Aucune audace. Du cinéma pépère. En charentaises. L'audace, la vraie, pour Ivory, aurait consisté à ne pas filmer au millimètre près la distance entre un couteau d'argent et un verre en cristal. Ce qu'il sait faire, ô combien ! Non, ce qu'il aurait dû, c'est chercher ­ et trouver ­ une façon de traduire visuellement le style de l'écrivain, Kazuo Ishiguro : cette langue où les mots, obsessionnellement répétés, deviennent une réflexion effrayante et glacée sur la dignité, la soumission et la responsabilité. Dans le film, la glace est là, mais l'effroi manque. Comme il le fait de plus en plus souvent, à présent, c'est la lettre qu'illustre Ivory et non pas l'esprit. Alors, oui, bon, d'accord, devant un éclair qui anime l'oeil d'Anthony Hopkins, on se dit : « Oh, comme c'est profond ! » Et quand Emma Thompson (parfaite, toujours aussi parfaite) s'éloigne dans son bus, après avoir serré ­ en très gros plan, bien sûr, au cas où on n'aurait pas compris ­ la main de l'homme qu'elle aurait voulu aimer, on se dit : « Oh, comme c'est émouvant ! » Mais non ! A part les acteurs, rien n'est profond, rien n'est émouvant dans ce film qui pèse des tonnes et ne vaut pas très lourd. C'est toujours la même question, en fait. Réussir un film ennuyeux sur l'ennui est-il un gage de réussite ? Et filmer figé des gens figés, comme dans Les Vestiges du jour, est-ce le but d'un artiste ? Non, bien sûr, et Ivory le savait bien dans ses films de jeunesse. On songe à Shakespeare Wallah, Autobiographie d'une princesse ­ ou même à Quartet, d'après Jean Rhys avec Adjani. Et on en éprouve un vrai chagrin - Pierre Murat

Année : 1993