DVD/Blu-ray : 27 mars
Editeur : Koba Films
Année : 2023
De : Ali Scher
Avec : Sophia Reid-Gantzert, Lincoln Lambert, Chloe East, Cheryl Hines, Marc Evan Jackson, Kat Conner Sterling, Varak Baronian, Alina Brace
Télévision : 7 mars à 08:07-10:31 sur Canal +
film : drame
Un soir de janvier 1952, Mitzi et Burt Fabelman emmènent leur fils Sammy voir son premier film au cinéma : "Sous le plus grand chapiteau du monde". L'enfant tombe sous le charme du septième art et passe la majeure partie de son temps à filmer les activités familiales. Sa mère le pousse à développer ce côté artistique tandis que son père, un scientifique, n'y voit qu'un hobby. Au fil du temps, Sammy tourne des films de plus en plus perfectionnés en utilisant les membres de sa famille comme acteurs. Jusqu'au jour où il découvre, à travers l'une de ses oeuvres, une facette de sa mère qui va bouleverser leurs rapports… - Critique : Chez les Spielberg, à la fin de chaque repas, on ne débarrassait pas la table au sens habituel de l’expression. Couverts, gobelets, assiettes en plastique, tout était jetable et finissait empaqueté dans la nappe, elle-même en papier, avant d’être jeté… La folie de ce rituel quotidien, pendant de longues années, dit certainement l’aisance matérielle et, plus encore, l’insouciance d’une époque (les années 1950-1960), où les ressources naturelles semblaient inépuisables à jamais. Dans l’enceinte du foyer, l’explication était tout autre : il s’agissait d’épargner les mains de la mère pianiste, et donc de la dispenser définitivement de la corvée de vaisselle. Mais au fur et à mesure que le film avance, cette bizarrerie familiale paraît bien mince au regard d’une autre, tellement plus troublante… Quand le cinéaste d’E.T. raconte sa jeunesse à l’écran, après nombre de ses confrères (comme James Gray ou Paul Thomas Anderson), ce n’est pas un film de plus, mais un exploit. Pas seulement un roman familial bouleversant — où les Spielberg s’appellent donc Fabelman —, mais une réflexion lumineuse sur le cinéma, et le récit d’un cheminement personnel qui sidère. Et encore une grille d’analyse limpide de toute la filmographie de l’auteur, dont la cohérence, les thèmes majeurs et même l’alternance de genres apparaissent éclairés comme jamais. L’inventeur du blockbuster qui fait peur (Les Dents de la mer, 1975) remonte ainsi à cette séance de cinéma où, enfant, entouré de ses deux parents attendris, il assiste à son premier accident — un train qui déraille dans la superproduction Sous le plus grand chapiteau du monde, de Cecil B. DeMille (1952). Le mélange d’effroi et d’extase, au milieu du confort affectif, provoque en lui un déclic. Mais aussi un vif tourment. Et le train électrique qu’on lui offre innocemment, dans la foulée, n’est pas un remède un soi. « J’ai besoin de voir un accident », dit le garçonnet. Avec la complicité de sa mère, et la caméra de son père, il apprend à filmer, sous plusieurs angles, une collision sur son circuit ferroviaire miniature. C’est ainsi qu’il expérimente, sans mots, les bienfaits de la catharsis à l’antique devant la représentation du pire. Mais aussi le bénéfice supérieur qu’il y a à prendre le contrôle d’une telle représentation… L’apprivoisement à tâtons, à l’aveuglette pour ainsi dire, d’une vocation : ce thème porte The Fabelmans à des hauteurs exceptionnelles, d’émotion comme d’analyse. Alors que Sammy (le Steven de la fiction), une fois adolescent, maîtrise de mieux en mieux la caméra et parvient à imiter, dans ses premiers courts métrages, les scènes de western ou de guerre vues en salles, il devient aussi le documentariste de la maisonnée. Et voilà qu’en visionnant un de ses films sur les vacances des Fabelman, Sammy découvre, effondré, ce qu’il n’avait pas vu de ses propres yeux : le secret de sa mère adorée et fantasque, une réalité inconnue qui menace l’équilibre familial. Un gouffre s’ouvre alors dans l’esprit du fils. Les images peuvent révéler ce qui est caché, elles peuvent blesser, détruire, et il est possible de les escamoter, ou non, par le montage. Les questions de regard, de morale, de libre arbitre, de sensibilité renvoient soudain les qualités techniques d’un film à une place subalterne. Ce manifeste informulé, s’imposant à celui qui, adulte, sera souvent associé au seul grand spectacle, à la technologie et aux effets spéciaux, s’incarne magnifiquement dans The Fabelmans. La délicatesse inouïe avec laquelle sont filmés Michelle Williams (la mère musicienne contrariée, entre exubérance et mal-être), Paul Dano (le père scientifique, doux et aimant) et Seth Rogen (le collègue blagueur du père, omniprésent dans la vie de familiale) subjugue. Tout comme les nuances de la narration, rythmée par les déménagements successifs, d’est en ouest (New Jersey, Arizona, Californie), la carrière ascensionnelle du père, génie de l’informatique, entraînant un cortège de brisures pour ses trois enfants, et plus encore pour son épouse. En Californie, le jeune Sammy, parachuté au pays des « hommes-séquoias géants » (il se découvre petit de taille, à côté de ses nouveaux condisciples), doit faire face aux brimades antisémites. Cette fois, filmer devient une stratégie de survie sociale, puis la source d’un pouvoir considérable, proche de la manipulation : les séquences que l’adolescent agence après une journée du lycée à la plage peuvent transformer un redoutable ennemi en demi-dieu, en star, ou au contraire en bouffon. Là encore, The Fabelmans éblouit par son alliage d’humour et de complexité, et par la poursuite méticuleuse de son récit d’apprentissage. Il en va de même quand Sammy, au seuil de sa vie professionnelle, a la chance de rencontrer, quelques minutes, à son bureau, le mythique réalisateur John Ford. Car Steven Spielberg fait jouer le vétéran hollywoodien par David Lynch (il fallait y penser), parfaitement accordé à l’extravagant conseil technique que le vieil homme hurle au débutant… Jusqu’au bout demeure cependant, en filigrane, l’image la plus belle et la plus émouvante, la plus déterminante aussi : cette mère qui danse une nuit d’été, impudique et magique, dans le halo des phares de la voiture familiale, en pleine nature. Moment d’épiphanie et de transgression, point de non-retour, message subliminal adressé au fils filmeur, comme pour l’encourager à vivre pleinement, coûte que coûte, sa vie d’homme et d’artiste. Tony Kushner, le confidentIl n’y avait, a priori, rien de commun entre Angels in America (1991), la pièce de Tony Kushner sur les années sida (devenue une série pour HBO en 2003), et la filmographie de Steven Spielberg. Alors qu’il préparait Munich (2005), le second fit appel au premier pourson expertise sur le conflit israélo-palestinien. Une collaboration au long cours débuta ainsi, Tony Kushner cosignant trois scénarios pour Spielberg, dont celuide Lincoln (2012). De leurs échanges, et de la curiosité du dramaturge pour le cinéaste, naquit l’idée des Fabelmans : Kushner incita Spielberg à raconter dans un film l’histoire de sa famille. Près de vingt ans après leur première rencontre, le résultat, entièrement nourri des souvenirs et confidences du réalisateur, bénéficie indéniablement de la profondeur romanesque apportée par l’ami scénariste.
Année : 2022
Avec : Alina Brace, Gabriel LaBelle, Jeannie Berlin, Judd Hirsch, Julia Butters, Keeley Karsten, Mateo Zoryan, Michelle Williams, Paul Dano, Robin Bartlett, Seth Rogen, Sophia Kopera
Télévision : 26 décembre 2023 à 09:43-12:10 sur Canal +
film : drame
Un soir de janvier 1952, Mitzi et Burt Fabelman emmènent leur fils Sammy voir son premier film au cinéma : "Sous le plus grand chapiteau du monde". L'enfant tombe sous le charme du septième art et passe la majeure partie de son temps à filmer les activités familiales. Sa mère le pousse à développer ce côté artistique tandis que son père, un scientifique, n'y voit qu'un hobby. Au fil du temps, Sammy tourne des films de plus en plus perfectionnés en utilisant les membres de sa famille comme acteurs. Jusqu'au jour où il découvre, à travers l'une de ses oeuvres, une facette de sa mère qui va bouleverser leurs rapports… - Critique : Chez les Spielberg, à la fin de chaque repas, on ne débarrassait pas la table au sens habituel de l’expression. Couverts, gobelets, assiettes en plastique, tout était jetable et finissait empaqueté dans la nappe, elle-même en papier, avant d’être jeté… La folie de ce rituel quotidien, pendant de longues années, dit certainement l’aisance matérielle et, plus encore, l’insouciance d’une époque (les années 1950-1960), où les ressources naturelles semblaient inépuisables à jamais. Dans l’enceinte du foyer, l’explication était tout autre : il s’agissait d’épargner les mains de la mère pianiste, et donc de la dispenser définitivement de la corvée de vaisselle. Mais au fur et à mesure que le film avance, cette bizarrerie familiale paraît bien mince au regard d’une autre, tellement plus troublante… Quand le cinéaste d’E.T. raconte sa jeunesse à l’écran, après nombre de ses confrères (comme James Gray ou Paul Thomas Anderson), ce n’est pas un film de plus, mais un exploit. Pas seulement un roman familial bouleversant — où les Spielberg s’appellent donc Fabelman —, mais une réflexion lumineuse sur le cinéma, et le récit d’un cheminement personnel qui sidère. Et encore une grille d’analyse limpide de toute la filmographie de l’auteur, dont la cohérence, les thèmes majeurs et même l’alternance de genres apparaissent éclairés comme jamais. L’inventeur du blockbuster qui fait peur (Les Dents de la mer, 1975) remonte ainsi à cette séance de cinéma où, enfant, entouré de ses deux parents attendris, il assiste à son premier accident — un train qui déraille dans la superproduction Sous le plus grand chapiteau du monde, de Cecil B. DeMille (1952). Le mélange d’effroi et d’extase, au milieu du confort affectif, provoque en lui un déclic. Mais aussi un vif tourment. Et le train électrique qu’on lui offre innocemment, dans la foulée, n’est pas un remède un soi. « J’ai besoin de voir un accident », dit le garçonnet. Avec la complicité de sa mère, et la caméra de son père, il apprend à filmer, sous plusieurs angles, une collision sur son circuit ferroviaire miniature. C’est ainsi qu’il expérimente, sans mots, les bienfaits de la catharsis à l’antique devant la représentation du pire. Mais aussi le bénéfice supérieur qu’il y a à prendre le contrôle d’une telle représentation… L’apprivoisement à tâtons, à l’aveuglette pour ainsi dire, d’une vocation : ce thème porte The Fabelmans à des hauteurs exceptionnelles, d’émotion comme d’analyse. Alors que Sammy (le Steven de la fiction), une fois adolescent, maîtrise de mieux en mieux la caméra et parvient à imiter, dans ses premiers courts métrages, les scènes de western ou de guerre vues en salles, il devient aussi le documentariste de la maisonnée. Et voilà qu’en visionnant un de ses films sur les vacances des Fabelman, Sammy découvre, effondré, ce qu’il n’avait pas vu de ses propres yeux : le secret de sa mère adorée et fantasque, une réalité inconnue qui menace l’équilibre familial. Un gouffre s’ouvre alors dans l’esprit du fils. Les images peuvent révéler ce qui est caché, elles peuvent blesser, détruire, et il est possible de les escamoter, ou non, par le montage. Les questions de regard, de morale, de libre arbitre, de sensibilité renvoient soudain les qualités techniques d’un film à une place subalterne. Ce manifeste informulé, s’imposant à celui qui, adulte, sera souvent associé au seul grand spectacle, à la technologie et aux effets spéciaux, s’incarne magnifiquement dans The Fabelmans. La délicatesse inouïe avec laquelle sont filmés Michelle Williams (la mère musicienne contrariée, entre exubérance et mal-être), Paul Dano (le père scientifique, doux et aimant) et Seth Rogen (le collègue blagueur du père, omniprésent dans la vie de familiale) subjugue. Tout comme les nuances de la narration, rythmée par les déménagements successifs, d’est en ouest (New Jersey, Arizona, Californie), la carrière ascensionnelle du père, génie de l’informatique, entraînant un cortège de brisures pour ses trois enfants, et plus encore pour son épouse. En Californie, le jeune Sammy, parachuté au pays des « hommes-séquoias géants » (il se découvre petit de taille, à côté de ses nouveaux condisciples), doit faire face aux brimades antisémites. Cette fois, filmer devient une stratégie de survie sociale, puis la source d’un pouvoir considérable, proche de la manipulation : les séquences que l’adolescent agence après une journée du lycée à la plage peuvent transformer un redoutable ennemi en demi-dieu, en star, ou au contraire en bouffon. Là encore, The Fabelmans éblouit par son alliage d’humour et de complexité, et par la poursuite méticuleuse de son récit d’apprentissage. Il en va de même quand Sammy, au seuil de sa vie professionnelle, a la chance de rencontrer, quelques minutes, à son bureau, le mythique réalisateur John Ford. Car Steven Spielberg fait jouer le vétéran hollywoodien par David Lynch (il fallait y penser), parfaitement accordé à l’extravagant conseil technique que le vieil homme hurle au débutant… Jusqu’au bout demeure cependant, en filigrane, l’image la plus belle et la plus émouvante, la plus déterminante aussi : cette mère qui danse une nuit d’été, impudique et magique, dans le halo des phares de la voiture familiale, en pleine nature. Moment d’épiphanie et de transgression, point de non-retour, message subliminal adressé au fils filmeur, comme pour l’encourager à vivre pleinement, coûte que coûte, sa vie d’homme et d’artiste. Tony Kushner, le confidentIl n’y avait, a priori, rien de commun entre Angels in America (1991), la pièce de Tony Kushner sur les années sida (devenue une série pour HBO en 2003), et la filmographie de Steven Spielberg. Alors qu’il préparait Munich (2005), le second fit appel au premier pourson expertise sur le conflit israélo-palestinien. Une collaboration au long cours débuta ainsi, Tony Kushner cosignant trois scénarios pour Spielberg, dont celuide Lincoln (2012). De leurs échanges, et de la curiosité du dramaturge pour le cinéaste, naquit l’idée des Fabelmans : Kushner incita Spielberg à raconter dans un film l’histoire de sa famille. Près de vingt ans après leur première rencontre, le résultat, entièrement nourri des souvenirs et confidences du réalisateur, bénéficie indéniablement de la profondeur romanesque apportée par l’ami scénariste.
Année : 2022
Avec : Alina Brace, Gabriel LaBelle, Jeannie Berlin, Judd Hirsch, Julia Butters, Keeley Karsten, Mateo Zoryan, Michelle Williams, Paul Dano, Robin Bartlett, Seth Rogen, Sophia Kopera
Télévision : 7 décembre 2023 à 15:45-18:11 sur Canal +
film : drame
Un soir de janvier 1952, Mitzi et Burt Fabelman emmènent leur fils Sammy voir son premier film au cinéma : "Sous le plus grand chapiteau du monde". L'enfant tombe sous le charme du septième art et passe la majeure partie de son temps à filmer les activités familiales. Sa mère le pousse à développer ce côté artistique tandis que son père, un scientifique, n'y voit qu'un hobby. Au fil du temps, Sammy tourne des films de plus en plus perfectionnés en utilisant les membres de sa famille comme acteurs. Jusqu'au jour où il découvre, à travers l'une de ses oeuvres, une facette de sa mère qui va bouleverser leurs rapports… - Critique : Chez les Spielberg, à la fin de chaque repas, on ne débarrassait pas la table au sens habituel de l’expression. Couverts, gobelets, assiettes en plastique, tout était jetable et finissait empaqueté dans la nappe, elle-même en papier, avant d’être jeté… La folie de ce rituel quotidien, pendant de longues années, dit certainement l’aisance matérielle et, plus encore, l’insouciance d’une époque (les années 1950-1960), où les ressources naturelles semblaient inépuisables à jamais. Dans l’enceinte du foyer, l’explication était tout autre : il s’agissait d’épargner les mains de la mère pianiste, et donc de la dispenser définitivement de la corvée de vaisselle. Mais au fur et à mesure que le film avance, cette bizarrerie familiale paraît bien mince au regard d’une autre, tellement plus troublante… Quand le cinéaste d’E.T. raconte sa jeunesse à l’écran, après nombre de ses confrères (comme James Gray ou Paul Thomas Anderson), ce n’est pas un film de plus, mais un exploit. Pas seulement un roman familial bouleversant — où les Spielberg s’appellent donc Fabelman —, mais une réflexion lumineuse sur le cinéma, et le récit d’un cheminement personnel qui sidère. Et encore une grille d’analyse limpide de toute la filmographie de l’auteur, dont la cohérence, les thèmes majeurs et même l’alternance de genres apparaissent éclairés comme jamais. L’inventeur du blockbuster qui fait peur (Les Dents de la mer, 1975) remonte ainsi à cette séance de cinéma où, enfant, entouré de ses deux parents attendris, il assiste à son premier accident — un train qui déraille dans la superproduction Sous le plus grand chapiteau du monde, de Cecil B. DeMille (1952). Le mélange d’effroi et d’extase, au milieu du confort affectif, provoque en lui un déclic. Mais aussi un vif tourment. Et le train électrique qu’on lui offre innocemment, dans la foulée, n’est pas un remède un soi. « J’ai besoin de voir un accident », dit le garçonnet. Avec la complicité de sa mère, et la caméra de son père, il apprend à filmer, sous plusieurs angles, une collision sur son circuit ferroviaire miniature. C’est ainsi qu’il expérimente, sans mots, les bienfaits de la catharsis à l’antique devant la représentation du pire. Mais aussi le bénéfice supérieur qu’il y a à prendre le contrôle d’une telle représentation… L’apprivoisement à tâtons, à l’aveuglette pour ainsi dire, d’une vocation : ce thème porte The Fabelmans à des hauteurs exceptionnelles, d’émotion comme d’analyse. Alors que Sammy (le Steven de la fiction), une fois adolescent, maîtrise de mieux en mieux la caméra et parvient à imiter, dans ses premiers courts métrages, les scènes de western ou de guerre vues en salles, il devient aussi le documentariste de la maisonnée. Et voilà qu’en visionnant un de ses films sur les vacances des Fabelman, Sammy découvre, effondré, ce qu’il n’avait pas vu de ses propres yeux : le secret de sa mère adorée et fantasque, une réalité inconnue qui menace l’équilibre familial. Un gouffre s’ouvre alors dans l’esprit du fils. Les images peuvent révéler ce qui est caché, elles peuvent blesser, détruire, et il est possible de les escamoter, ou non, par le montage. Les questions de regard, de morale, de libre arbitre, de sensibilité renvoient soudain les qualités techniques d’un film à une place subalterne. Ce manifeste informulé, s’imposant à celui qui, adulte, sera souvent associé au seul grand spectacle, à la technologie et aux effets spéciaux, s’incarne magnifiquement dans The Fabelmans. La délicatesse inouïe avec laquelle sont filmés Michelle Williams (la mère musicienne contrariée, entre exubérance et mal-être), Paul Dano (le père scientifique, doux et aimant) et Seth Rogen (le collègue blagueur du père, omniprésent dans la vie de familiale) subjugue. Tout comme les nuances de la narration, rythmée par les déménagements successifs, d’est en ouest (New Jersey, Arizona, Californie), la carrière ascensionnelle du père, génie de l’informatique, entraînant un cortège de brisures pour ses trois enfants, et plus encore pour son épouse. En Californie, le jeune Sammy, parachuté au pays des « hommes-séquoias géants » (il se découvre petit de taille, à côté de ses nouveaux condisciples), doit faire face aux brimades antisémites. Cette fois, filmer devient une stratégie de survie sociale, puis la source d’un pouvoir considérable, proche de la manipulation : les séquences que l’adolescent agence après une journée du lycée à la plage peuvent transformer un redoutable ennemi en demi-dieu, en star, ou au contraire en bouffon. Là encore, The Fabelmans éblouit par son alliage d’humour et de complexité, et par la poursuite méticuleuse de son récit d’apprentissage. Il en va de même quand Sammy, au seuil de sa vie professionnelle, a la chance de rencontrer, quelques minutes, à son bureau, le mythique réalisateur John Ford. Car Steven Spielberg fait jouer le vétéran hollywoodien par David Lynch (il fallait y penser), parfaitement accordé à l’extravagant conseil technique que le vieil homme hurle au débutant… Jusqu’au bout demeure cependant, en filigrane, l’image la plus belle et la plus émouvante, la plus déterminante aussi : cette mère qui danse une nuit d’été, impudique et magique, dans le halo des phares de la voiture familiale, en pleine nature. Moment d’épiphanie et de transgression, point de non-retour, message subliminal adressé au fils filmeur, comme pour l’encourager à vivre pleinement, coûte que coûte, sa vie d’homme et d’artiste. Tony Kushner, le confidentIl n’y avait, a priori, rien de commun entre Angels in America (1991), la pièce de Tony Kushner sur les années sida (devenue une série pour HBO en 2003), et la filmographie de Steven Spielberg. Alors qu’il préparait Munich (2005), le second fit appel au premier pourson expertise sur le conflit israélo-palestinien. Une collaboration au long cours débuta ainsi, Tony Kushner cosignant trois scénarios pour Spielberg, dont celuide Lincoln (2012). De leurs échanges, et de la curiosité du dramaturge pour le cinéaste, naquit l’idée des Fabelmans : Kushner incita Spielberg à raconter dans un film l’histoire de sa famille. Près de vingt ans après leur première rencontre, le résultat, entièrement nourri des souvenirs et confidences du réalisateur, bénéficie indéniablement de la profondeur romanesque apportée par l’ami scénariste.
Année : 2022
Avec : Alina Brace, Gabriel LaBelle, Jeannie Berlin, Judd Hirsch, Julia Butters, Keeley Karsten, Mateo Zoryan, Michelle Williams, Paul Dano, Robin Bartlett, Seth Rogen, Sophia Kopera
Télévision : 29 novembre 2023 à 00:23-02:49 sur Canal +
film : drame
Un soir de janvier 1952, Mitzi et Burt Fabelman emmènent leur fils Sammy voir son premier film au cinéma : "Sous le plus grand chapiteau du monde". L'enfant tombe sous le charme du septième art et passe la majeure partie de son temps à filmer les activités familiales. Sa mère le pousse à développer ce côté artistique tandis que son père, un scientifique, n'y voit qu'un hobby. Au fil du temps, Sammy tourne des films de plus en plus perfectionnés en utilisant les membres de sa famille comme acteurs. Jusqu'au jour où il découvre, à travers l'une de ses oeuvres, une facette de sa mère qui va bouleverser leurs rapports… - Critique : Chez les Spielberg, à la fin de chaque repas, on ne débarrassait pas la table au sens habituel de l’expression. Couverts, gobelets, assiettes en plastique, tout était jetable et finissait empaqueté dans la nappe, elle-même en papier, avant d’être jeté… La folie de ce rituel quotidien, pendant de longues années, dit certainement l’aisance matérielle et, plus encore, l’insouciance d’une époque (les années 1950-1960), où les ressources naturelles semblaient inépuisables à jamais. Dans l’enceinte du foyer, l’explication était tout autre : il s’agissait d’épargner les mains de la mère pianiste, et donc de la dispenser définitivement de la corvée de vaisselle. Mais au fur et à mesure que le film avance, cette bizarrerie familiale paraît bien mince au regard d’une autre, tellement plus troublante… Quand le cinéaste d’E.T. raconte sa jeunesse à l’écran, après nombre de ses confrères (comme James Gray ou Paul Thomas Anderson), ce n’est pas un film de plus, mais un exploit. Pas seulement un roman familial bouleversant — où les Spielberg s’appellent donc Fabelman —, mais une réflexion lumineuse sur le cinéma, et le récit d’un cheminement personnel qui sidère. Et encore une grille d’analyse limpide de toute la filmographie de l’auteur, dont la cohérence, les thèmes majeurs et même l’alternance de genres apparaissent éclairés comme jamais. L’inventeur du blockbuster qui fait peur (Les Dents de la mer, 1975) remonte ainsi à cette séance de cinéma où, enfant, entouré de ses deux parents attendris, il assiste à son premier accident — un train qui déraille dans la superproduction Sous le plus grand chapiteau du monde, de Cecil B. DeMille (1952). Le mélange d’effroi et d’extase, au milieu du confort affectif, provoque en lui un déclic. Mais aussi un vif tourment. Et le train électrique qu’on lui offre innocemment, dans la foulée, n’est pas un remède un soi. « J’ai besoin de voir un accident », dit le garçonnet. Avec la complicité de sa mère, et la caméra de son père, il apprend à filmer, sous plusieurs angles, une collision sur son circuit ferroviaire miniature. C’est ainsi qu’il expérimente, sans mots, les bienfaits de la catharsis à l’antique devant la représentation du pire. Mais aussi le bénéfice supérieur qu’il y a à prendre le contrôle d’une telle représentation… L’apprivoisement à tâtons, à l’aveuglette pour ainsi dire, d’une vocation : ce thème porte The Fabelmans à des hauteurs exceptionnelles, d’émotion comme d’analyse. Alors que Sammy (le Steven de la fiction), une fois adolescent, maîtrise de mieux en mieux la caméra et parvient à imiter, dans ses premiers courts métrages, les scènes de western ou de guerre vues en salles, il devient aussi le documentariste de la maisonnée. Et voilà qu’en visionnant un de ses films sur les vacances des Fabelman, Sammy découvre, effondré, ce qu’il n’avait pas vu de ses propres yeux : le secret de sa mère adorée et fantasque, une réalité inconnue qui menace l’équilibre familial. Un gouffre s’ouvre alors dans l’esprit du fils. Les images peuvent révéler ce qui est caché, elles peuvent blesser, détruire, et il est possible de les escamoter, ou non, par le montage. Les questions de regard, de morale, de libre arbitre, de sensibilité renvoient soudain les qualités techniques d’un film à une place subalterne. Ce manifeste informulé, s’imposant à celui qui, adulte, sera souvent associé au seul grand spectacle, à la technologie et aux effets spéciaux, s’incarne magnifiquement dans The Fabelmans. La délicatesse inouïe avec laquelle sont filmés Michelle Williams (la mère musicienne contrariée, entre exubérance et mal-être), Paul Dano (le père scientifique, doux et aimant) et Seth Rogen (le collègue blagueur du père, omniprésent dans la vie de familiale) subjugue. Tout comme les nuances de la narration, rythmée par les déménagements successifs, d’est en ouest (New Jersey, Arizona, Californie), la carrière ascensionnelle du père, génie de l’informatique, entraînant un cortège de brisures pour ses trois enfants, et plus encore pour son épouse. En Californie, le jeune Sammy, parachuté au pays des « hommes-séquoias géants » (il se découvre petit de taille, à côté de ses nouveaux condisciples), doit faire face aux brimades antisémites. Cette fois, filmer devient une stratégie de survie sociale, puis la source d’un pouvoir considérable, proche de la manipulation : les séquences que l’adolescent agence après une journée du lycée à la plage peuvent transformer un redoutable ennemi en demi-dieu, en star, ou au contraire en bouffon. Là encore, The Fabelmans éblouit par son alliage d’humour et de complexité, et par la poursuite méticuleuse de son récit d’apprentissage. Il en va de même quand Sammy, au seuil de sa vie professionnelle, a la chance de rencontrer, quelques minutes, à son bureau, le mythique réalisateur John Ford. Car Steven Spielberg fait jouer le vétéran hollywoodien par David Lynch (il fallait y penser), parfaitement accordé à l’extravagant conseil technique que le vieil homme hurle au débutant… Jusqu’au bout demeure cependant, en filigrane, l’image la plus belle et la plus émouvante, la plus déterminante aussi : cette mère qui danse une nuit d’été, impudique et magique, dans le halo des phares de la voiture familiale, en pleine nature. Moment d’épiphanie et de transgression, point de non-retour, message subliminal adressé au fils filmeur, comme pour l’encourager à vivre pleinement, coûte que coûte, sa vie d’homme et d’artiste. Tony Kushner, le confidentIl n’y avait, a priori, rien de commun entre Angels in America (1991), la pièce de Tony Kushner sur les années sida (devenue une série pour HBO en 2003), et la filmographie de Steven Spielberg. Alors qu’il préparait Munich (2005), le second fit appel au premier pourson expertise sur le conflit israélo-palestinien. Une collaboration au long cours débuta ainsi, Tony Kushner cosignant trois scénarios pour Spielberg, dont celuide Lincoln (2012). De leurs échanges, et de la curiosité du dramaturge pour le cinéaste, naquit l’idée des Fabelmans : Kushner incita Spielberg à raconter dans un film l’histoire de sa famille. Près de vingt ans après leur première rencontre, le résultat, entièrement nourri des souvenirs et confidences du réalisateur, bénéficie indéniablement de la profondeur romanesque apportée par l’ami scénariste.
Année : 2022
Avec : Alina Brace, Gabriel LaBelle, Jeannie Berlin, Judd Hirsch, Julia Butters, Keeley Karsten, Mateo Zoryan, Michelle Williams, Paul Dano, Robin Bartlett, Seth Rogen, Sophia Kopera
Télévision : 7 novembre 2023 à 09:45-12:11 sur Canal +
film : drame
Un soir de janvier 1952, Mitzi et Burt Fabelman emmènent leur fils Sammy voir son premier film au cinéma : "Sous le plus grand chapiteau du monde". L'enfant tombe sous le charme du septième art et passe la majeure partie de son temps à filmer les activités familiales. Sa mère le pousse à développer ce côté artistique tandis que son père, un scientifique, n'y voit qu'un hobby. Au fil du temps, Sammy tourne des films de plus en plus perfectionnés en utilisant les membres de sa famille comme acteurs. Jusqu'au jour où il découvre, à travers l'une de ses oeuvres, une facette de sa mère qui va bouleverser leurs rapports… - Critique : Chez les Spielberg, à la fin de chaque repas, on ne débarrassait pas la table au sens habituel de l’expression. Couverts, gobelets, assiettes en plastique, tout était jetable et finissait empaqueté dans la nappe, elle-même en papier, avant d’être jeté… La folie de ce rituel quotidien, pendant de longues années, dit certainement l’aisance matérielle et, plus encore, l’insouciance d’une époque (les années 1950-1960), où les ressources naturelles semblaient inépuisables à jamais. Dans l’enceinte du foyer, l’explication était tout autre : il s’agissait d’épargner les mains de la mère pianiste, et donc de la dispenser définitivement de la corvée de vaisselle. Mais au fur et à mesure que le film avance, cette bizarrerie familiale paraît bien mince au regard d’une autre, tellement plus troublante… Quand le cinéaste d’E.T. raconte sa jeunesse à l’écran, après nombre de ses confrères (comme James Gray ou Paul Thomas Anderson), ce n’est pas un film de plus, mais un exploit. Pas seulement un roman familial bouleversant — où les Spielberg s’appellent donc Fabelman —, mais une réflexion lumineuse sur le cinéma, et le récit d’un cheminement personnel qui sidère. Et encore une grille d’analyse limpide de toute la filmographie de l’auteur, dont la cohérence, les thèmes majeurs et même l’alternance de genres apparaissent éclairés comme jamais. L’inventeur du blockbuster qui fait peur (Les Dents de la mer, 1975) remonte ainsi à cette séance de cinéma où, enfant, entouré de ses deux parents attendris, il assiste à son premier accident — un train qui déraille dans la superproduction Sous le plus grand chapiteau du monde, de Cecil B. DeMille (1952). Le mélange d’effroi et d’extase, au milieu du confort affectif, provoque en lui un déclic. Mais aussi un vif tourment. Et le train électrique qu’on lui offre innocemment, dans la foulée, n’est pas un remède un soi. « J’ai besoin de voir un accident », dit le garçonnet. Avec la complicité de sa mère, et la caméra de son père, il apprend à filmer, sous plusieurs angles, une collision sur son circuit ferroviaire miniature. C’est ainsi qu’il expérimente, sans mots, les bienfaits de la catharsis à l’antique devant la représentation du pire. Mais aussi le bénéfice supérieur qu’il y a à prendre le contrôle d’une telle représentation… L’apprivoisement à tâtons, à l’aveuglette pour ainsi dire, d’une vocation : ce thème porte The Fabelmans à des hauteurs exceptionnelles, d’émotion comme d’analyse. Alors que Sammy (le Steven de la fiction), une fois adolescent, maîtrise de mieux en mieux la caméra et parvient à imiter, dans ses premiers courts métrages, les scènes de western ou de guerre vues en salles, il devient aussi le documentariste de la maisonnée. Et voilà qu’en visionnant un de ses films sur les vacances des Fabelman, Sammy découvre, effondré, ce qu’il n’avait pas vu de ses propres yeux : le secret de sa mère adorée et fantasque, une réalité inconnue qui menace l’équilibre familial. Un gouffre s’ouvre alors dans l’esprit du fils. Les images peuvent révéler ce qui est caché, elles peuvent blesser, détruire, et il est possible de les escamoter, ou non, par le montage. Les questions de regard, de morale, de libre arbitre, de sensibilité renvoient soudain les qualités techniques d’un film à une place subalterne. Ce manifeste informulé, s’imposant à celui qui, adulte, sera souvent associé au seul grand spectacle, à la technologie et aux effets spéciaux, s’incarne magnifiquement dans The Fabelmans. La délicatesse inouïe avec laquelle sont filmés Michelle Williams (la mère musicienne contrariée, entre exubérance et mal-être), Paul Dano (le père scientifique, doux et aimant) et Seth Rogen (le collègue blagueur du père, omniprésent dans la vie de familiale) subjugue. Tout comme les nuances de la narration, rythmée par les déménagements successifs, d’est en ouest (New Jersey, Arizona, Californie), la carrière ascensionnelle du père, génie de l’informatique, entraînant un cortège de brisures pour ses trois enfants, et plus encore pour son épouse. En Californie, le jeune Sammy, parachuté au pays des « hommes-séquoias géants » (il se découvre petit de taille, à côté de ses nouveaux condisciples), doit faire face aux brimades antisémites. Cette fois, filmer devient une stratégie de survie sociale, puis la source d’un pouvoir considérable, proche de la manipulation : les séquences que l’adolescent agence après une journée du lycée à la plage peuvent transformer un redoutable ennemi en demi-dieu, en star, ou au contraire en bouffon. Là encore, The Fabelmans éblouit par son alliage d’humour et de complexité, et par la poursuite méticuleuse de son récit d’apprentissage. Il en va de même quand Sammy, au seuil de sa vie professionnelle, a la chance de rencontrer, quelques minutes, à son bureau, le mythique réalisateur John Ford. Car Steven Spielberg fait jouer le vétéran hollywoodien par David Lynch (il fallait y penser), parfaitement accordé à l’extravagant conseil technique que le vieil homme hurle au débutant… Jusqu’au bout demeure cependant, en filigrane, l’image la plus belle et la plus émouvante, la plus déterminante aussi : cette mère qui danse une nuit d’été, impudique et magique, dans le halo des phares de la voiture familiale, en pleine nature. Moment d’épiphanie et de transgression, point de non-retour, message subliminal adressé au fils filmeur, comme pour l’encourager à vivre pleinement, coûte que coûte, sa vie d’homme et d’artiste. Tony Kushner, le confidentIl n’y avait, a priori, rien de commun entre Angels in America (1991), la pièce de Tony Kushner sur les années sida (devenue une série pour HBO en 2003), et la filmographie de Steven Spielberg. Alors qu’il préparait Munich (2005), le second fit appel au premier pourson expertise sur le conflit israélo-palestinien. Une collaboration au long cours débuta ainsi, Tony Kushner cosignant trois scénarios pour Spielberg, dont celuide Lincoln (2012). De leurs échanges, et de la curiosité du dramaturge pour le cinéaste, naquit l’idée des Fabelmans : Kushner incita Spielberg à raconter dans un film l’histoire de sa famille. Près de vingt ans après leur première rencontre, le résultat, entièrement nourri des souvenirs et confidences du réalisateur, bénéficie indéniablement de la profondeur romanesque apportée par l’ami scénariste.
Année : 2022
Avec : Alina Brace, Gabriel LaBelle, Jeannie Berlin, Judd Hirsch, Julia Butters, Keeley Karsten, Mateo Zoryan, Michelle Williams, Paul Dano, Robin Bartlett, Seth Rogen, Sophia Kopera
Télévision : 7 novembre 2023 à 09:40-12:06 sur Canal +
film : drame
Un soir de janvier 1952, Mitzi et Burt Fabelman emmènent leur fils Sammy voir son premier film au cinéma : "Sous le plus grand chapiteau du monde". L'enfant tombe sous le charme du septième art et passe la majeure partie de son temps à filmer les activités familiales. Sa mère le pousse à développer ce côté artistique tandis que son père, un scientifique, n'y voit qu'un hobby. Au fil du temps, Sammy tourne des films de plus en plus perfectionnés en utilisant les membres de sa famille comme acteurs. Jusqu'au jour où il découvre, à travers l'une de ses oeuvres, une facette de sa mère qui va bouleverser leurs rapports… - Critique : Chez les Spielberg, à la fin de chaque repas, on ne débarrassait pas la table au sens habituel de l’expression. Couverts, gobelets, assiettes en plastique, tout était jetable et finissait empaqueté dans la nappe, elle-même en papier, avant d’être jeté… La folie de ce rituel quotidien, pendant de longues années, dit certainement l’aisance matérielle et, plus encore, l’insouciance d’une époque (les années 1950-1960), où les ressources naturelles semblaient inépuisables à jamais. Dans l’enceinte du foyer, l’explication était tout autre : il s’agissait d’épargner les mains de la mère pianiste, et donc de la dispenser définitivement de la corvée de vaisselle. Mais au fur et à mesure que le film avance, cette bizarrerie familiale paraît bien mince au regard d’une autre, tellement plus troublante… Quand le cinéaste d’E.T. raconte sa jeunesse à l’écran, après nombre de ses confrères (comme James Gray ou Paul Thomas Anderson), ce n’est pas un film de plus, mais un exploit. Pas seulement un roman familial bouleversant — où les Spielberg s’appellent donc Fabelman —, mais une réflexion lumineuse sur le cinéma, et le récit d’un cheminement personnel qui sidère. Et encore une grille d’analyse limpide de toute la filmographie de l’auteur, dont la cohérence, les thèmes majeurs et même l’alternance de genres apparaissent éclairés comme jamais. L’inventeur du blockbuster qui fait peur (Les Dents de la mer, 1975) remonte ainsi à cette séance de cinéma où, enfant, entouré de ses deux parents attendris, il assiste à son premier accident — un train qui déraille dans la superproduction Sous le plus grand chapiteau du monde, de Cecil B. DeMille (1952). Le mélange d’effroi et d’extase, au milieu du confort affectif, provoque en lui un déclic. Mais aussi un vif tourment. Et le train électrique qu’on lui offre innocemment, dans la foulée, n’est pas un remède un soi. « J’ai besoin de voir un accident », dit le garçonnet. Avec la complicité de sa mère, et la caméra de son père, il apprend à filmer, sous plusieurs angles, une collision sur son circuit ferroviaire miniature. C’est ainsi qu’il expérimente, sans mots, les bienfaits de la catharsis à l’antique devant la représentation du pire. Mais aussi le bénéfice supérieur qu’il y a à prendre le contrôle d’une telle représentation… L’apprivoisement à tâtons, à l’aveuglette pour ainsi dire, d’une vocation : ce thème porte The Fabelmans à des hauteurs exceptionnelles, d’émotion comme d’analyse. Alors que Sammy (le Steven de la fiction), une fois adolescent, maîtrise de mieux en mieux la caméra et parvient à imiter, dans ses premiers courts métrages, les scènes de western ou de guerre vues en salles, il devient aussi le documentariste de la maisonnée. Et voilà qu’en visionnant un de ses films sur les vacances des Fabelman, Sammy découvre, effondré, ce qu’il n’avait pas vu de ses propres yeux : le secret de sa mère adorée et fantasque, une réalité inconnue qui menace l’équilibre familial. Un gouffre s’ouvre alors dans l’esprit du fils. Les images peuvent révéler ce qui est caché, elles peuvent blesser, détruire, et il est possible de les escamoter, ou non, par le montage. Les questions de regard, de morale, de libre arbitre, de sensibilité renvoient soudain les qualités techniques d’un film à une place subalterne. Ce manifeste informulé, s’imposant à celui qui, adulte, sera souvent associé au seul grand spectacle, à la technologie et aux effets spéciaux, s’incarne magnifiquement dans The Fabelmans. La délicatesse inouïe avec laquelle sont filmés Michelle Williams (la mère musicienne contrariée, entre exubérance et mal-être), Paul Dano (le père scientifique, doux et aimant) et Seth Rogen (le collègue blagueur du père, omniprésent dans la vie de familiale) subjugue. Tout comme les nuances de la narration, rythmée par les déménagements successifs, d’est en ouest (New Jersey, Arizona, Californie), la carrière ascensionnelle du père, génie de l’informatique, entraînant un cortège de brisures pour ses trois enfants, et plus encore pour son épouse. En Californie, le jeune Sammy, parachuté au pays des « hommes-séquoias géants » (il se découvre petit de taille, à côté de ses nouveaux condisciples), doit faire face aux brimades antisémites. Cette fois, filmer devient une stratégie de survie sociale, puis la source d’un pouvoir considérable, proche de la manipulation : les séquences que l’adolescent agence après une journée du lycée à la plage peuvent transformer un redoutable ennemi en demi-dieu, en star, ou au contraire en bouffon. Là encore, The Fabelmans éblouit par son alliage d’humour et de complexité, et par la poursuite méticuleuse de son récit d’apprentissage. Il en va de même quand Sammy, au seuil de sa vie professionnelle, a la chance de rencontrer, quelques minutes, à son bureau, le mythique réalisateur John Ford. Car Steven Spielberg fait jouer le vétéran hollywoodien par David Lynch (il fallait y penser), parfaitement accordé à l’extravagant conseil technique que le vieil homme hurle au débutant… Jusqu’au bout demeure cependant, en filigrane, l’image la plus belle et la plus émouvante, la plus déterminante aussi : cette mère qui danse une nuit d’été, impudique et magique, dans le halo des phares de la voiture familiale, en pleine nature. Moment d’épiphanie et de transgression, point de non-retour, message subliminal adressé au fils filmeur, comme pour l’encourager à vivre pleinement, coûte que coûte, sa vie d’homme et d’artiste. Tony Kushner, le confidentIl n’y avait, a priori, rien de commun entre Angels in America (1991), la pièce de Tony Kushner sur les années sida (devenue une série pour HBO en 2003), et la filmographie de Steven Spielberg. Alors qu’il préparait Munich (2005), le second fit appel au premier pourson expertise sur le conflit israélo-palestinien. Une collaboration au long cours débuta ainsi, Tony Kushner cosignant trois scénarios pour Spielberg, dont celuide Lincoln (2012). De leurs échanges, et de la curiosité du dramaturge pour le cinéaste, naquit l’idée des Fabelmans : Kushner incita Spielberg à raconter dans un film l’histoire de sa famille. Près de vingt ans après leur première rencontre, le résultat, entièrement nourri des souvenirs et confidences du réalisateur, bénéficie indéniablement de la profondeur romanesque apportée par l’ami scénariste.
Année : 2022
Avec : Alina Brace, Gabriel LaBelle, Jeannie Berlin, Judd Hirsch, Julia Butters, Keeley Karsten, Mateo Zoryan, Michelle Williams, Paul Dano, Robin Bartlett, Seth Rogen, Sophia Kopera
Télévision : 27 octobre 2023 à 15:14-17:40 sur Canal +
film : drame
Un soir de janvier 1952, Mitzi et Burt Fabelman emmènent leur fils Sammy voir son premier film au cinéma : "Sous le plus grand chapiteau du monde". L'enfant tombe sous le charme du septième art et passe la majeure partie de son temps à filmer les activités familiales. Sa mère le pousse à développer ce côté artistique tandis que son père, un scientifique, n'y voit qu'un hobby. Au fil du temps, Sammy tourne des films de plus en plus perfectionnés en utilisant les membres de sa famille comme acteurs. Jusqu'au jour où il découvre, à travers l'une de ses oeuvres, une facette de sa mère qui va bouleverser leurs rapports… - Critique : Chez les Spielberg, à la fin de chaque repas, on ne débarrassait pas la table au sens habituel de l’expression. Couverts, gobelets, assiettes en plastique, tout était jetable et finissait empaqueté dans la nappe, elle-même en papier, avant d’être jeté… La folie de ce rituel quotidien, pendant de longues années, dit certainement l’aisance matérielle et, plus encore, l’insouciance d’une époque (les années 1950-1960), où les ressources naturelles semblaient inépuisables à jamais. Dans l’enceinte du foyer, l’explication était tout autre : il s’agissait d’épargner les mains de la mère pianiste, et donc de la dispenser définitivement de la corvée de vaisselle. Mais au fur et à mesure que le film avance, cette bizarrerie familiale paraît bien mince au regard d’une autre, tellement plus troublante… Quand le cinéaste d’E.T. raconte sa jeunesse à l’écran, après nombre de ses confrères (comme James Gray ou Paul Thomas Anderson), ce n’est pas un film de plus, mais un exploit. Pas seulement un roman familial bouleversant — où les Spielberg s’appellent donc Fabelman —, mais une réflexion lumineuse sur le cinéma, et le récit d’un cheminement personnel qui sidère. Et encore une grille d’analyse limpide de toute la filmographie de l’auteur, dont la cohérence, les thèmes majeurs et même l’alternance de genres apparaissent éclairés comme jamais. L’inventeur du blockbuster qui fait peur (Les Dents de la mer, 1975) remonte ainsi à cette séance de cinéma où, enfant, entouré de ses deux parents attendris, il assiste à son premier accident — un train qui déraille dans la superproduction Sous le plus grand chapiteau du monde, de Cecil B. DeMille (1952). Le mélange d’effroi et d’extase, au milieu du confort affectif, provoque en lui un déclic. Mais aussi un vif tourment. Et le train électrique qu’on lui offre innocemment, dans la foulée, n’est pas un remède un soi. « J’ai besoin de voir un accident », dit le garçonnet. Avec la complicité de sa mère, et la caméra de son père, il apprend à filmer, sous plusieurs angles, une collision sur son circuit ferroviaire miniature. C’est ainsi qu’il expérimente, sans mots, les bienfaits de la catharsis à l’antique devant la représentation du pire. Mais aussi le bénéfice supérieur qu’il y a à prendre le contrôle d’une telle représentation… L’apprivoisement à tâtons, à l’aveuglette pour ainsi dire, d’une vocation : ce thème porte The Fabelmans à des hauteurs exceptionnelles, d’émotion comme d’analyse. Alors que Sammy (le Steven de la fiction), une fois adolescent, maîtrise de mieux en mieux la caméra et parvient à imiter, dans ses premiers courts métrages, les scènes de western ou de guerre vues en salles, il devient aussi le documentariste de la maisonnée. Et voilà qu’en visionnant un de ses films sur les vacances des Fabelman, Sammy découvre, effondré, ce qu’il n’avait pas vu de ses propres yeux : le secret de sa mère adorée et fantasque, une réalité inconnue qui menace l’équilibre familial. Un gouffre s’ouvre alors dans l’esprit du fils. Les images peuvent révéler ce qui est caché, elles peuvent blesser, détruire, et il est possible de les escamoter, ou non, par le montage. Les questions de regard, de morale, de libre arbitre, de sensibilité renvoient soudain les qualités techniques d’un film à une place subalterne. Ce manifeste informulé, s’imposant à celui qui, adulte, sera souvent associé au seul grand spectacle, à la technologie et aux effets spéciaux, s’incarne magnifiquement dans The Fabelmans. La délicatesse inouïe avec laquelle sont filmés Michelle Williams (la mère musicienne contrariée, entre exubérance et mal-être), Paul Dano (le père scientifique, doux et aimant) et Seth Rogen (le collègue blagueur du père, omniprésent dans la vie de familiale) subjugue. Tout comme les nuances de la narration, rythmée par les déménagements successifs, d’est en ouest (New Jersey, Arizona, Californie), la carrière ascensionnelle du père, génie de l’informatique, entraînant un cortège de brisures pour ses trois enfants, et plus encore pour son épouse. En Californie, le jeune Sammy, parachuté au pays des « hommes-séquoias géants » (il se découvre petit de taille, à côté de ses nouveaux condisciples), doit faire face aux brimades antisémites. Cette fois, filmer devient une stratégie de survie sociale, puis la source d’un pouvoir considérable, proche de la manipulation : les séquences que l’adolescent agence après une journée du lycée à la plage peuvent transformer un redoutable ennemi en demi-dieu, en star, ou au contraire en bouffon. Là encore, The Fabelmans éblouit par son alliage d’humour et de complexité, et par la poursuite méticuleuse de son récit d’apprentissage. Il en va de même quand Sammy, au seuil de sa vie professionnelle, a la chance de rencontrer, quelques minutes, à son bureau, le mythique réalisateur John Ford. Car Steven Spielberg fait jouer le vétéran hollywoodien par David Lynch (il fallait y penser), parfaitement accordé à l’extravagant conseil technique que le vieil homme hurle au débutant… Jusqu’au bout demeure cependant, en filigrane, l’image la plus belle et la plus émouvante, la plus déterminante aussi : cette mère qui danse une nuit d’été, impudique et magique, dans le halo des phares de la voiture familiale, en pleine nature. Moment d’épiphanie et de transgression, point de non-retour, message subliminal adressé au fils filmeur, comme pour l’encourager à vivre pleinement, coûte que coûte, sa vie d’homme et d’artiste. Tony Kushner, le confidentIl n’y avait, a priori, rien de commun entre Angels in America (1991), la pièce de Tony Kushner sur les années sida (devenue une série pour HBO en 2003), et la filmographie de Steven Spielberg. Alors qu’il préparait Munich (2005), le second fit appel au premier pourson expertise sur le conflit israélo-palestinien. Une collaboration au long cours débuta ainsi, Tony Kushner cosignant trois scénarios pour Spielberg, dont celuide Lincoln (2012). De leurs échanges, et de la curiosité du dramaturge pour le cinéaste, naquit l’idée des Fabelmans : Kushner incita Spielberg à raconter dans un film l’histoire de sa famille. Près de vingt ans après leur première rencontre, le résultat, entièrement nourri des souvenirs et confidences du réalisateur, bénéficie indéniablement de la profondeur romanesque apportée par l’ami scénariste.
Année : 2022
Avec : Alina Brace, Gabriel LaBelle, Jeannie Berlin, Judd Hirsch, Julia Butters, Keeley Karsten, Mateo Zoryan, Michelle Williams, Paul Dano, Robin Bartlett, Seth Rogen, Sophia Kopera
Télévision : 24 octobre 2023 à 23:11-01:37 sur Canal +
film : drame
Un soir de janvier 1952, Mitzi et Burt Fabelman emmènent leur fils Sammy voir son premier film au cinéma : "Sous le plus grand chapiteau du monde". L'enfant tombe sous le charme du septième art et passe la majeure partie de son temps à filmer les activités familiales. Sa mère le pousse à développer ce côté artistique tandis que son père, un scientifique, n'y voit qu'un hobby. Au fil du temps, Sammy tourne des films de plus en plus perfectionnés en utilisant les membres de sa famille comme acteurs. Jusqu'au jour où il découvre, à travers l'une de ses oeuvres, une facette de sa mère qui va bouleverser leurs rapports… - Critique : Chez les Spielberg, à la fin de chaque repas, on ne débarrassait pas la table au sens habituel de l’expression. Couverts, gobelets, assiettes en plastique, tout était jetable et finissait empaqueté dans la nappe, elle-même en papier, avant d’être jeté… La folie de ce rituel quotidien, pendant de longues années, dit certainement l’aisance matérielle et, plus encore, l’insouciance d’une époque (les années 1950-1960), où les ressources naturelles semblaient inépuisables à jamais. Dans l’enceinte du foyer, l’explication était tout autre : il s’agissait d’épargner les mains de la mère pianiste, et donc de la dispenser définitivement de la corvée de vaisselle. Mais au fur et à mesure que le film avance, cette bizarrerie familiale paraît bien mince au regard d’une autre, tellement plus troublante… Quand le cinéaste d’E.T. raconte sa jeunesse à l’écran, après nombre de ses confrères (comme James Gray ou Paul Thomas Anderson), ce n’est pas un film de plus, mais un exploit. Pas seulement un roman familial bouleversant — où les Spielberg s’appellent donc Fabelman —, mais une réflexion lumineuse sur le cinéma, et le récit d’un cheminement personnel qui sidère. Et encore une grille d’analyse limpide de toute la filmographie de l’auteur, dont la cohérence, les thèmes majeurs et même l’alternance de genres apparaissent éclairés comme jamais. L’inventeur du blockbuster qui fait peur (Les Dents de la mer, 1975) remonte ainsi à cette séance de cinéma où, enfant, entouré de ses deux parents attendris, il assiste à son premier accident — un train qui déraille dans la superproduction Sous le plus grand chapiteau du monde, de Cecil B. DeMille (1952). Le mélange d’effroi et d’extase, au milieu du confort affectif, provoque en lui un déclic. Mais aussi un vif tourment. Et le train électrique qu’on lui offre innocemment, dans la foulée, n’est pas un remède un soi. « J’ai besoin de voir un accident », dit le garçonnet. Avec la complicité de sa mère, et la caméra de son père, il apprend à filmer, sous plusieurs angles, une collision sur son circuit ferroviaire miniature. C’est ainsi qu’il expérimente, sans mots, les bienfaits de la catharsis à l’antique devant la représentation du pire. Mais aussi le bénéfice supérieur qu’il y a à prendre le contrôle d’une telle représentation… L’apprivoisement à tâtons, à l’aveuglette pour ainsi dire, d’une vocation : ce thème porte The Fabelmans à des hauteurs exceptionnelles, d’émotion comme d’analyse. Alors que Sammy (le Steven de la fiction), une fois adolescent, maîtrise de mieux en mieux la caméra et parvient à imiter, dans ses premiers courts métrages, les scènes de western ou de guerre vues en salles, il devient aussi le documentariste de la maisonnée. Et voilà qu’en visionnant un de ses films sur les vacances des Fabelman, Sammy découvre, effondré, ce qu’il n’avait pas vu de ses propres yeux : le secret de sa mère adorée et fantasque, une réalité inconnue qui menace l’équilibre familial. Un gouffre s’ouvre alors dans l’esprit du fils. Les images peuvent révéler ce qui est caché, elles peuvent blesser, détruire, et il est possible de les escamoter, ou non, par le montage. Les questions de regard, de morale, de libre arbitre, de sensibilité renvoient soudain les qualités techniques d’un film à une place subalterne. Ce manifeste informulé, s’imposant à celui qui, adulte, sera souvent associé au seul grand spectacle, à la technologie et aux effets spéciaux, s’incarne magnifiquement dans The Fabelmans. La délicatesse inouïe avec laquelle sont filmés Michelle Williams (la mère musicienne contrariée, entre exubérance et mal-être), Paul Dano (le père scientifique, doux et aimant) et Seth Rogen (le collègue blagueur du père, omniprésent dans la vie de familiale) subjugue. Tout comme les nuances de la narration, rythmée par les déménagements successifs, d’est en ouest (New Jersey, Arizona, Californie), la carrière ascensionnelle du père, génie de l’informatique, entraînant un cortège de brisures pour ses trois enfants, et plus encore pour son épouse. En Californie, le jeune Sammy, parachuté au pays des « hommes-séquoias géants » (il se découvre petit de taille, à côté de ses nouveaux condisciples), doit faire face aux brimades antisémites. Cette fois, filmer devient une stratégie de survie sociale, puis la source d’un pouvoir considérable, proche de la manipulation : les séquences que l’adolescent agence après une journée du lycée à la plage peuvent transformer un redoutable ennemi en demi-dieu, en star, ou au contraire en bouffon. Là encore, The Fabelmans éblouit par son alliage d’humour et de complexité, et par la poursuite méticuleuse de son récit d’apprentissage. Il en va de même quand Sammy, au seuil de sa vie professionnelle, a la chance de rencontrer, quelques minutes, à son bureau, le mythique réalisateur John Ford. Car Steven Spielberg fait jouer le vétéran hollywoodien par David Lynch (il fallait y penser), parfaitement accordé à l’extravagant conseil technique que le vieil homme hurle au débutant… Jusqu’au bout demeure cependant, en filigrane, l’image la plus belle et la plus émouvante, la plus déterminante aussi : cette mère qui danse une nuit d’été, impudique et magique, dans le halo des phares de la voiture familiale, en pleine nature. Moment d’épiphanie et de transgression, point de non-retour, message subliminal adressé au fils filmeur, comme pour l’encourager à vivre pleinement, coûte que coûte, sa vie d’homme et d’artiste. Tony Kushner, le confidentIl n’y avait, a priori, rien de commun entre Angels in America (1991), la pièce de Tony Kushner sur les années sida (devenue une série pour HBO en 2003), et la filmographie de Steven Spielberg. Alors qu’il préparait Munich (2005), le second fit appel au premier pourson expertise sur le conflit israélo-palestinien. Une collaboration au long cours débuta ainsi, Tony Kushner cosignant trois scénarios pour Spielberg, dont celuide Lincoln (2012). De leurs échanges, et de la curiosité du dramaturge pour le cinéaste, naquit l’idée des Fabelmans : Kushner incita Spielberg à raconter dans un film l’histoire de sa famille. Près de vingt ans après leur première rencontre, le résultat, entièrement nourri des souvenirs et confidences du réalisateur, bénéficie indéniablement de la profondeur romanesque apportée par l’ami scénariste.
Année : 2022
Avec : Alina Brace, Gabriel LaBelle, Jeannie Berlin, Judd Hirsch, Julia Butters, Keeley Karsten, Mateo Zoryan, Michelle Williams, Paul Dano, Robin Bartlett, Seth Rogen, Sophia Kopera
Télévision : 19 octobre 2023 à 09:34-12:01 sur Canal +
film : drame
Un soir de janvier 1952, Mitzi et Burt Fabelman emmènent leur fils Sammy voir son premier film au cinéma : "Sous le plus grand chapiteau du monde". L'enfant tombe sous le charme du septième art et passe la majeure partie de son temps à filmer les activités familiales. Sa mère le pousse à développer ce côté artistique tandis que son père, un scientifique, n'y voit qu'un hobby. Au fil du temps, Sammy tourne des films de plus en plus perfectionnés en utilisant les membres de sa famille comme acteurs. Jusqu'au jour où il découvre, à travers l'une de ses oeuvres, une facette de sa mère qui va bouleverser leurs rapports… - Critique : Chez les Spielberg, à la fin de chaque repas, on ne débarrassait pas la table au sens habituel de l’expression. Couverts, gobelets, assiettes en plastique, tout était jetable et finissait empaqueté dans la nappe, elle-même en papier, avant d’être jeté… La folie de ce rituel quotidien, pendant de longues années, dit certainement l’aisance matérielle et, plus encore, l’insouciance d’une époque (les années 1950-1960), où les ressources naturelles semblaient inépuisables à jamais. Dans l’enceinte du foyer, l’explication était tout autre : il s’agissait d’épargner les mains de la mère pianiste, et donc de la dispenser définitivement de la corvée de vaisselle. Mais au fur et à mesure que le film avance, cette bizarrerie familiale paraît bien mince au regard d’une autre, tellement plus troublante… Quand le cinéaste d’E.T. raconte sa jeunesse à l’écran, après nombre de ses confrères (comme James Gray ou Paul Thomas Anderson), ce n’est pas un film de plus, mais un exploit. Pas seulement un roman familial bouleversant — où les Spielberg s’appellent donc Fabelman —, mais une réflexion lumineuse sur le cinéma, et le récit d’un cheminement personnel qui sidère. Et encore une grille d’analyse limpide de toute la filmographie de l’auteur, dont la cohérence, les thèmes majeurs et même l’alternance de genres apparaissent éclairés comme jamais. L’inventeur du blockbuster qui fait peur (Les Dents de la mer, 1975) remonte ainsi à cette séance de cinéma où, enfant, entouré de ses deux parents attendris, il assiste à son premier accident — un train qui déraille dans la superproduction Sous le plus grand chapiteau du monde, de Cecil B. DeMille (1952). Le mélange d’effroi et d’extase, au milieu du confort affectif, provoque en lui un déclic. Mais aussi un vif tourment. Et le train électrique qu’on lui offre innocemment, dans la foulée, n’est pas un remède un soi. « J’ai besoin de voir un accident », dit le garçonnet. Avec la complicité de sa mère, et la caméra de son père, il apprend à filmer, sous plusieurs angles, une collision sur son circuit ferroviaire miniature. C’est ainsi qu’il expérimente, sans mots, les bienfaits de la catharsis à l’antique devant la représentation du pire. Mais aussi le bénéfice supérieur qu’il y a à prendre le contrôle d’une telle représentation… L’apprivoisement à tâtons, à l’aveuglette pour ainsi dire, d’une vocation : ce thème porte The Fabelmans à des hauteurs exceptionnelles, d’émotion comme d’analyse. Alors que Sammy (le Steven de la fiction), une fois adolescent, maîtrise de mieux en mieux la caméra et parvient à imiter, dans ses premiers courts métrages, les scènes de western ou de guerre vues en salles, il devient aussi le documentariste de la maisonnée. Et voilà qu’en visionnant un de ses films sur les vacances des Fabelman, Sammy découvre, effondré, ce qu’il n’avait pas vu de ses propres yeux : le secret de sa mère adorée et fantasque, une réalité inconnue qui menace l’équilibre familial. Un gouffre s’ouvre alors dans l’esprit du fils. Les images peuvent révéler ce qui est caché, elles peuvent blesser, détruire, et il est possible de les escamoter, ou non, par le montage. Les questions de regard, de morale, de libre arbitre, de sensibilité renvoient soudain les qualités techniques d’un film à une place subalterne. Ce manifeste informulé, s’imposant à celui qui, adulte, sera souvent associé au seul grand spectacle, à la technologie et aux effets spéciaux, s’incarne magnifiquement dans The Fabelmans. La délicatesse inouïe avec laquelle sont filmés Michelle Williams (la mère musicienne contrariée, entre exubérance et mal-être), Paul Dano (le père scientifique, doux et aimant) et Seth Rogen (le collègue blagueur du père, omniprésent dans la vie de familiale) subjugue. Tout comme les nuances de la narration, rythmée par les déménagements successifs, d’est en ouest (New Jersey, Arizona, Californie), la carrière ascensionnelle du père, génie de l’informatique, entraînant un cortège de brisures pour ses trois enfants, et plus encore pour son épouse. En Californie, le jeune Sammy, parachuté au pays des « hommes-séquoias géants » (il se découvre petit de taille, à côté de ses nouveaux condisciples), doit faire face aux brimades antisémites. Cette fois, filmer devient une stratégie de survie sociale, puis la source d’un pouvoir considérable, proche de la manipulation : les séquences que l’adolescent agence après une journée du lycée à la plage peuvent transformer un redoutable ennemi en demi-dieu, en star, ou au contraire en bouffon. Là encore, The Fabelmans éblouit par son alliage d’humour et de complexité, et par la poursuite méticuleuse de son récit d’apprentissage. Il en va de même quand Sammy, au seuil de sa vie professionnelle, a la chance de rencontrer, quelques minutes, à son bureau, le mythique réalisateur John Ford. Car Steven Spielberg fait jouer le vétéran hollywoodien par David Lynch (il fallait y penser), parfaitement accordé à l’extravagant conseil technique que le vieil homme hurle au débutant… Jusqu’au bout demeure cependant, en filigrane, l’image la plus belle et la plus émouvante, la plus déterminante aussi : cette mère qui danse une nuit d’été, impudique et magique, dans le halo des phares de la voiture familiale, en pleine nature. Moment d’épiphanie et de transgression, point de non-retour, message subliminal adressé au fils filmeur, comme pour l’encourager à vivre pleinement, coûte que coûte, sa vie d’homme et d’artiste. Tony Kushner, le confidentIl n’y avait, a priori, rien de commun entre Angels in America (1991), la pièce de Tony Kushner sur les années sida (devenue une série pour HBO en 2003), et la filmographie de Steven Spielberg. Alors qu’il préparait Munich (2005), le second fit appel au premier pourson expertise sur le conflit israélo-palestinien. Une collaboration au long cours débuta ainsi, Tony Kushner cosignant trois scénarios pour Spielberg, dont celuide Lincoln (2012). De leurs échanges, et de la curiosité du dramaturge pour le cinéaste, naquit l’idée des Fabelmans : Kushner incita Spielberg à raconter dans un film l’histoire de sa famille. Près de vingt ans après leur première rencontre, le résultat, entièrement nourri des souvenirs et confidences du réalisateur, bénéficie indéniablement de la profondeur romanesque apportée par l’ami scénariste.
Année : 2022
Avec : Alina Brace, Gabriel LaBelle, Jeannie Berlin, Judd Hirsch, Julia Butters, Keeley Karsten, Mateo Zoryan, Michelle Williams, Paul Dano, Robin Bartlett, Seth Rogen, Sophia Kopera
Télévision : 16 octobre 2023 à 15:46-18:13 sur Canal +
film : drame
Un soir de janvier 1952, Mitzi et Burt Fabelman emmènent leur fils Sammy voir son premier film au cinéma : "Sous le plus grand chapiteau du monde". L'enfant tombe sous le charme du septième art et passe la majeure partie de son temps à filmer les activités familiales. Sa mère le pousse à développer ce côté artistique tandis que son père, un scientifique, n'y voit qu'un hobby. Au fil du temps, Sammy tourne des films de plus en plus perfectionnés en utilisant les membres de sa famille comme acteurs. Jusqu'au jour où il découvre, à travers l'une de ses oeuvres, une facette de sa mère qui va bouleverser leurs rapports… - Critique : Chez les Spielberg, à la fin de chaque repas, on ne débarrassait pas la table au sens habituel de l’expression. Couverts, gobelets, assiettes en plastique, tout était jetable et finissait empaqueté dans la nappe, elle-même en papier, avant d’être jeté… La folie de ce rituel quotidien, pendant de longues années, dit certainement l’aisance matérielle et, plus encore, l’insouciance d’une époque (les années 1950-1960), où les ressources naturelles semblaient inépuisables à jamais. Dans l’enceinte du foyer, l’explication était tout autre : il s’agissait d’épargner les mains de la mère pianiste, et donc de la dispenser définitivement de la corvée de vaisselle. Mais au fur et à mesure que le film avance, cette bizarrerie familiale paraît bien mince au regard d’une autre, tellement plus troublante… Quand le cinéaste d’E.T. raconte sa jeunesse à l’écran, après nombre de ses confrères (comme James Gray ou Paul Thomas Anderson), ce n’est pas un film de plus, mais un exploit. Pas seulement un roman familial bouleversant — où les Spielberg s’appellent donc Fabelman —, mais une réflexion lumineuse sur le cinéma, et le récit d’un cheminement personnel qui sidère. Et encore une grille d’analyse limpide de toute la filmographie de l’auteur, dont la cohérence, les thèmes majeurs et même l’alternance de genres apparaissent éclairés comme jamais. L’inventeur du blockbuster qui fait peur (Les Dents de la mer, 1975) remonte ainsi à cette séance de cinéma où, enfant, entouré de ses deux parents attendris, il assiste à son premier accident — un train qui déraille dans la superproduction Sous le plus grand chapiteau du monde, de Cecil B. DeMille (1952). Le mélange d’effroi et d’extase, au milieu du confort affectif, provoque en lui un déclic. Mais aussi un vif tourment. Et le train électrique qu’on lui offre innocemment, dans la foulée, n’est pas un remède un soi. « J’ai besoin de voir un accident », dit le garçonnet. Avec la complicité de sa mère, et la caméra de son père, il apprend à filmer, sous plusieurs angles, une collision sur son circuit ferroviaire miniature. C’est ainsi qu’il expérimente, sans mots, les bienfaits de la catharsis à l’antique devant la représentation du pire. Mais aussi le bénéfice supérieur qu’il y a à prendre le contrôle d’une telle représentation… L’apprivoisement à tâtons, à l’aveuglette pour ainsi dire, d’une vocation : ce thème porte The Fabelmans à des hauteurs exceptionnelles, d’émotion comme d’analyse. Alors que Sammy (le Steven de la fiction), une fois adolescent, maîtrise de mieux en mieux la caméra et parvient à imiter, dans ses premiers courts métrages, les scènes de western ou de guerre vues en salles, il devient aussi le documentariste de la maisonnée. Et voilà qu’en visionnant un de ses films sur les vacances des Fabelman, Sammy découvre, effondré, ce qu’il n’avait pas vu de ses propres yeux : le secret de sa mère adorée et fantasque, une réalité inconnue qui menace l’équilibre familial. Un gouffre s’ouvre alors dans l’esprit du fils. Les images peuvent révéler ce qui est caché, elles peuvent blesser, détruire, et il est possible de les escamoter, ou non, par le montage. Les questions de regard, de morale, de libre arbitre, de sensibilité renvoient soudain les qualités techniques d’un film à une place subalterne. Ce manifeste informulé, s’imposant à celui qui, adulte, sera souvent associé au seul grand spectacle, à la technologie et aux effets spéciaux, s’incarne magnifiquement dans The Fabelmans. La délicatesse inouïe avec laquelle sont filmés Michelle Williams (la mère musicienne contrariée, entre exubérance et mal-être), Paul Dano (le père scientifique, doux et aimant) et Seth Rogen (le collègue blagueur du père, omniprésent dans la vie de familiale) subjugue. Tout comme les nuances de la narration, rythmée par les déménagements successifs, d’est en ouest (New Jersey, Arizona, Californie), la carrière ascensionnelle du père, génie de l’informatique, entraînant un cortège de brisures pour ses trois enfants, et plus encore pour son épouse. En Californie, le jeune Sammy, parachuté au pays des « hommes-séquoias géants » (il se découvre petit de taille, à côté de ses nouveaux condisciples), doit faire face aux brimades antisémites. Cette fois, filmer devient une stratégie de survie sociale, puis la source d’un pouvoir considérable, proche de la manipulation : les séquences que l’adolescent agence après une journée du lycée à la plage peuvent transformer un redoutable ennemi en demi-dieu, en star, ou au contraire en bouffon. Là encore, The Fabelmans éblouit par son alliage d’humour et de complexité, et par la poursuite méticuleuse de son récit d’apprentissage. Il en va de même quand Sammy, au seuil de sa vie professionnelle, a la chance de rencontrer, quelques minutes, à son bureau, le mythique réalisateur John Ford. Car Steven Spielberg fait jouer le vétéran hollywoodien par David Lynch (il fallait y penser), parfaitement accordé à l’extravagant conseil technique que le vieil homme hurle au débutant… Jusqu’au bout demeure cependant, en filigrane, l’image la plus belle et la plus émouvante, la plus déterminante aussi : cette mère qui danse une nuit d’été, impudique et magique, dans le halo des phares de la voiture familiale, en pleine nature. Moment d’épiphanie et de transgression, point de non-retour, message subliminal adressé au fils filmeur, comme pour l’encourager à vivre pleinement, coûte que coûte, sa vie d’homme et d’artiste. Tony Kushner, le confidentIl n’y avait, a priori, rien de commun entre Angels in America (1991), la pièce de Tony Kushner sur les années sida (devenue une série pour HBO en 2003), et la filmographie de Steven Spielberg. Alors qu’il préparait Munich (2005), le second fit appel au premier pourson expertise sur le conflit israélo-palestinien. Une collaboration au long cours débuta ainsi, Tony Kushner cosignant trois scénarios pour Spielberg, dont celuide Lincoln (2012). De leurs échanges, et de la curiosité du dramaturge pour le cinéaste, naquit l’idée des Fabelmans : Kushner incita Spielberg à raconter dans un film l’histoire de sa famille. Près de vingt ans après leur première rencontre, le résultat, entièrement nourri des souvenirs et confidences du réalisateur, bénéficie indéniablement de la profondeur romanesque apportée par l’ami scénariste.
Année : 2022
Avec : Alina Brace, Gabriel LaBelle, Jeannie Berlin, Judd Hirsch, Julia Butters, Keeley Karsten, Mateo Zoryan, Michelle Williams, Paul Dano, Robin Bartlett, Seth Rogen, Sophia Kopera
Télévision : 14 octobre 2023 à 17:05-19:34 sur Canal +
film : drame
Un soir de janvier 1952, Mitzi et Burt Fabelman emmènent leur fils Sammy voir son premier film au cinéma : "Sous le plus grand chapiteau du monde". L'enfant tombe sous le charme du septième art et passe la majeure partie de son temps à filmer les activités familiales. Sa mère le pousse à développer ce côté artistique tandis que son père, un scientifique, n'y voit qu'un hobby. Au fil du temps, Sammy tourne des films de plus en plus perfectionnés en utilisant les membres de sa famille comme acteurs. Jusqu'au jour où il découvre, à travers l'une de ses oeuvres, une facette de sa mère qui va bouleverser leurs rapports… - Critique : Chez les Spielberg, à la fin de chaque repas, on ne débarrassait pas la table au sens habituel de l’expression. Couverts, gobelets, assiettes en plastique, tout était jetable et finissait empaqueté dans la nappe, elle-même en papier, avant d’être jeté… La folie de ce rituel quotidien, pendant de longues années, dit certainement l’aisance matérielle et, plus encore, l’insouciance d’une époque (les années 1950-1960), où les ressources naturelles semblaient inépuisables à jamais. Dans l’enceinte du foyer, l’explication était tout autre : il s’agissait d’épargner les mains de la mère pianiste, et donc de la dispenser définitivement de la corvée de vaisselle. Mais au fur et à mesure que le film avance, cette bizarrerie familiale paraît bien mince au regard d’une autre, tellement plus troublante… Quand le cinéaste d’E.T. raconte sa jeunesse à l’écran, après nombre de ses confrères (comme James Gray ou Paul Thomas Anderson), ce n’est pas un film de plus, mais un exploit. Pas seulement un roman familial bouleversant — où les Spielberg s’appellent donc Fabelman —, mais une réflexion lumineuse sur le cinéma, et le récit d’un cheminement personnel qui sidère. Et encore une grille d’analyse limpide de toute la filmographie de l’auteur, dont la cohérence, les thèmes majeurs et même l’alternance de genres apparaissent éclairés comme jamais. L’inventeur du blockbuster qui fait peur (Les Dents de la mer, 1975) remonte ainsi à cette séance de cinéma où, enfant, entouré de ses deux parents attendris, il assiste à son premier accident — un train qui déraille dans la superproduction Sous le plus grand chapiteau du monde, de Cecil B. DeMille (1952). Le mélange d’effroi et d’extase, au milieu du confort affectif, provoque en lui un déclic. Mais aussi un vif tourment. Et le train électrique qu’on lui offre innocemment, dans la foulée, n’est pas un remède un soi. « J’ai besoin de voir un accident », dit le garçonnet. Avec la complicité de sa mère, et la caméra de son père, il apprend à filmer, sous plusieurs angles, une collision sur son circuit ferroviaire miniature. C’est ainsi qu’il expérimente, sans mots, les bienfaits de la catharsis à l’antique devant la représentation du pire. Mais aussi le bénéfice supérieur qu’il y a à prendre le contrôle d’une telle représentation… L’apprivoisement à tâtons, à l’aveuglette pour ainsi dire, d’une vocation : ce thème porte The Fabelmans à des hauteurs exceptionnelles, d’émotion comme d’analyse. Alors que Sammy (le Steven de la fiction), une fois adolescent, maîtrise de mieux en mieux la caméra et parvient à imiter, dans ses premiers courts métrages, les scènes de western ou de guerre vues en salles, il devient aussi le documentariste de la maisonnée. Et voilà qu’en visionnant un de ses films sur les vacances des Fabelman, Sammy découvre, effondré, ce qu’il n’avait pas vu de ses propres yeux : le secret de sa mère adorée et fantasque, une réalité inconnue qui menace l’équilibre familial. Un gouffre s’ouvre alors dans l’esprit du fils. Les images peuvent révéler ce qui est caché, elles peuvent blesser, détruire, et il est possible de les escamoter, ou non, par le montage. Les questions de regard, de morale, de libre arbitre, de sensibilité renvoient soudain les qualités techniques d’un film à une place subalterne. Ce manifeste informulé, s’imposant à celui qui, adulte, sera souvent associé au seul grand spectacle, à la technologie et aux effets spéciaux, s’incarne magnifiquement dans The Fabelmans. La délicatesse inouïe avec laquelle sont filmés Michelle Williams (la mère musicienne contrariée, entre exubérance et mal-être), Paul Dano (le père scientifique, doux et aimant) et Seth Rogen (le collègue blagueur du père, omniprésent dans la vie de familiale) subjugue. Tout comme les nuances de la narration, rythmée par les déménagements successifs, d’est en ouest (New Jersey, Arizona, Californie), la carrière ascensionnelle du père, génie de l’informatique, entraînant un cortège de brisures pour ses trois enfants, et plus encore pour son épouse. En Californie, le jeune Sammy, parachuté au pays des « hommes-séquoias géants » (il se découvre petit de taille, à côté de ses nouveaux condisciples), doit faire face aux brimades antisémites. Cette fois, filmer devient une stratégie de survie sociale, puis la source d’un pouvoir considérable, proche de la manipulation : les séquences que l’adolescent agence après une journée du lycée à la plage peuvent transformer un redoutable ennemi en demi-dieu, en star, ou au contraire en bouffon. Là encore, The Fabelmans éblouit par son alliage d’humour et de complexité, et par la poursuite méticuleuse de son récit d’apprentissage. Il en va de même quand Sammy, au seuil de sa vie professionnelle, a la chance de rencontrer, quelques minutes, à son bureau, le mythique réalisateur John Ford. Car Steven Spielberg fait jouer le vétéran hollywoodien par David Lynch (il fallait y penser), parfaitement accordé à l’extravagant conseil technique que le vieil homme hurle au débutant… Jusqu’au bout demeure cependant, en filigrane, l’image la plus belle et la plus émouvante, la plus déterminante aussi : cette mère qui danse une nuit d’été, impudique et magique, dans le halo des phares de la voiture familiale, en pleine nature. Moment d’épiphanie et de transgression, point de non-retour, message subliminal adressé au fils filmeur, comme pour l’encourager à vivre pleinement, coûte que coûte, sa vie d’homme et d’artiste. Tony Kushner, le confidentIl n’y avait, a priori, rien de commun entre Angels in America (1991), la pièce de Tony Kushner sur les années sida (devenue une série pour HBO en 2003), et la filmographie de Steven Spielberg. Alors qu’il préparait Munich (2005), le second fit appel au premier pourson expertise sur le conflit israélo-palestinien. Une collaboration au long cours débuta ainsi, Tony Kushner cosignant trois scénarios pour Spielberg, dont celuide Lincoln (2012). De leurs échanges, et de la curiosité du dramaturge pour le cinéaste, naquit l’idée des Fabelmans : Kushner incita Spielberg à raconter dans un film l’histoire de sa famille. Près de vingt ans après leur première rencontre, le résultat, entièrement nourri des souvenirs et confidences du réalisateur, bénéficie indéniablement de la profondeur romanesque apportée par l’ami scénariste.
Année : 2022
Avec : Alina Brace, Gabriel LaBelle, Jeannie Berlin, Judd Hirsch, Julia Butters, Keeley Karsten, Mateo Zoryan, Michelle Williams, Paul Dano, Robin Bartlett, Seth Rogen, Sophia Kopera
Télévision : 10 octobre 2023 à 21:10-23:38 sur Canal +
film : drame
Un soir de janvier 1952, Mitzi et Burt Fabelman emmènent leur fils Sammy voir son premier film au cinéma : "Sous le plus grand chapiteau du monde". L'enfant tombe sous le charme du septième art et passe la majeure partie de son temps à filmer les activités familiales. Sa mère le pousse à développer ce côté artistique tandis que son père, un scientifique, n'y voit qu'un hobby. Au fil du temps, Sammy tourne des films de plus en plus perfectionnés en utilisant les membres de sa famille comme acteurs. Jusqu'au jour où il découvre, à travers l'une de ses oeuvres, une facette de sa mère qui va bouleverser leurs rapports… - Critique : Chez les Spielberg, à la fin de chaque repas, on ne débarrassait pas la table au sens habituel de l’expression. Couverts, gobelets, assiettes en plastique, tout était jetable et finissait empaqueté dans la nappe, elle-même en papier, avant d’être jeté… La folie de ce rituel quotidien, pendant de longues années, dit certainement l’aisance matérielle et, plus encore, l’insouciance d’une époque (les années 1950-1960), où les ressources naturelles semblaient inépuisables à jamais. Dans l’enceinte du foyer, l’explication était tout autre : il s’agissait d’épargner les mains de la mère pianiste, et donc de la dispenser définitivement de la corvée de vaisselle. Mais au fur et à mesure que le film avance, cette bizarrerie familiale paraît bien mince au regard d’une autre, tellement plus troublante… Quand le cinéaste d’E.T. raconte sa jeunesse à l’écran, après nombre de ses confrères (comme James Gray ou Paul Thomas Anderson), ce n’est pas un film de plus, mais un exploit. Pas seulement un roman familial bouleversant — où les Spielberg s’appellent donc Fabelman —, mais une réflexion lumineuse sur le cinéma, et le récit d’un cheminement personnel qui sidère. Et encore une grille d’analyse limpide de toute la filmographie de l’auteur, dont la cohérence, les thèmes majeurs et même l’alternance de genres apparaissent éclairés comme jamais. L’inventeur du blockbuster qui fait peur (Les Dents de la mer, 1975) remonte ainsi à cette séance de cinéma où, enfant, entouré de ses deux parents attendris, il assiste à son premier accident — un train qui déraille dans la superproduction Sous le plus grand chapiteau du monde, de Cecil B. DeMille (1952). Le mélange d’effroi et d’extase, au milieu du confort affectif, provoque en lui un déclic. Mais aussi un vif tourment. Et le train électrique qu’on lui offre innocemment, dans la foulée, n’est pas un remède un soi. « J’ai besoin de voir un accident », dit le garçonnet. Avec la complicité de sa mère, et la caméra de son père, il apprend à filmer, sous plusieurs angles, une collision sur son circuit ferroviaire miniature. C’est ainsi qu’il expérimente, sans mots, les bienfaits de la catharsis à l’antique devant la représentation du pire. Mais aussi le bénéfice supérieur qu’il y a à prendre le contrôle d’une telle représentation… L’apprivoisement à tâtons, à l’aveuglette pour ainsi dire, d’une vocation : ce thème porte The Fabelmans à des hauteurs exceptionnelles, d’émotion comme d’analyse. Alors que Sammy (le Steven de la fiction), une fois adolescent, maîtrise de mieux en mieux la caméra et parvient à imiter, dans ses premiers courts métrages, les scènes de western ou de guerre vues en salles, il devient aussi le documentariste de la maisonnée. Et voilà qu’en visionnant un de ses films sur les vacances des Fabelman, Sammy découvre, effondré, ce qu’il n’avait pas vu de ses propres yeux : le secret de sa mère adorée et fantasque, une réalité inconnue qui menace l’équilibre familial. Un gouffre s’ouvre alors dans l’esprit du fils. Les images peuvent révéler ce qui est caché, elles peuvent blesser, détruire, et il est possible de les escamoter, ou non, par le montage. Les questions de regard, de morale, de libre arbitre, de sensibilité renvoient soudain les qualités techniques d’un film à une place subalterne. Ce manifeste informulé, s’imposant à celui qui, adulte, sera souvent associé au seul grand spectacle, à la technologie et aux effets spéciaux, s’incarne magnifiquement dans The Fabelmans. La délicatesse inouïe avec laquelle sont filmés Michelle Williams (la mère musicienne contrariée, entre exubérance et mal-être), Paul Dano (le père scientifique, doux et aimant) et Seth Rogen (le collègue blagueur du père, omniprésent dans la vie de familiale) subjugue. Tout comme les nuances de la narration, rythmée par les déménagements successifs, d’est en ouest (New Jersey, Arizona, Californie), la carrière ascensionnelle du père, génie de l’informatique, entraînant un cortège de brisures pour ses trois enfants, et plus encore pour son épouse. En Californie, le jeune Sammy, parachuté au pays des « hommes-séquoias géants » (il se découvre petit de taille, à côté de ses nouveaux condisciples), doit faire face aux brimades antisémites. Cette fois, filmer devient une stratégie de survie sociale, puis la source d’un pouvoir considérable, proche de la manipulation : les séquences que l’adolescent agence après une journée du lycée à la plage peuvent transformer un redoutable ennemi en demi-dieu, en star, ou au contraire en bouffon. Là encore, The Fabelmans éblouit par son alliage d’humour et de complexité, et par la poursuite méticuleuse de son récit d’apprentissage. Il en va de même quand Sammy, au seuil de sa vie professionnelle, a la chance de rencontrer, quelques minutes, à son bureau, le mythique réalisateur John Ford. Car Steven Spielberg fait jouer le vétéran hollywoodien par David Lynch (il fallait y penser), parfaitement accordé à l’extravagant conseil technique que le vieil homme hurle au débutant… Jusqu’au bout demeure cependant, en filigrane, l’image la plus belle et la plus émouvante, la plus déterminante aussi : cette mère qui danse une nuit d’été, impudique et magique, dans le halo des phares de la voiture familiale, en pleine nature. Moment d’épiphanie et de transgression, point de non-retour, message subliminal adressé au fils filmeur, comme pour l’encourager à vivre pleinement, coûte que coûte, sa vie d’homme et d’artiste. Tony Kushner, le confidentIl n’y avait, a priori, rien de commun entre Angels in America (1991), la pièce de Tony Kushner sur les années sida (devenue une série pour HBO en 2003), et la filmographie de Steven Spielberg. Alors qu’il préparait Munich (2005), le second fit appel au premier pourson expertise sur le conflit israélo-palestinien. Une collaboration au long cours débuta ainsi, Tony Kushner cosignant trois scénarios pour Spielberg, dont celuide Lincoln (2012). De leurs échanges, et de la curiosité du dramaturge pour le cinéaste, naquit l’idée des Fabelmans : Kushner incita Spielberg à raconter dans un film l’histoire de sa famille. Près de vingt ans après leur première rencontre, le résultat, entièrement nourri des souvenirs et confidences du réalisateur, bénéficie indéniablement de la profondeur romanesque apportée par l’ami scénariste.
Année : 2022
Avec : Alina Brace, Gabriel LaBelle, Jeannie Berlin, Judd Hirsch, Julia Butters, Keeley Karsten, Mateo Zoryan, Michelle Williams, Paul Dano, Robin Bartlett, Seth Rogen, Sophia Kopera
DVD/Blu-ray : 5 juillet 2023
Editeur : Universal Pictures France
Année : 2022
De : Steven Spielberg
Avec : Michelle Williams, Paul Dano, Seth Rogen, Gabriel LaBelle, Mateo Zoryon Francis-DeFord, Keeley Karsten, Alina Brace, Julia Butters, Judd Hirsch
DVD/Blu-ray : 5 juillet 2023
Editeur : Universal Pictures France
Année : 2022
De : Steven Spielberg
Avec : Michelle Williams, Paul Dano, Seth Rogen, Gabriel LaBelle, Mateo Zoryon Francis-DeFord, Keeley Karsten, Alina Brace, Julia Butters, Judd Hirsch
DVD/Blu-ray : 5 juillet 2023
Editeur : Universal Pictures France
Année : 2022
De : Steven Spielberg
Avec : Michelle Williams, Paul Dano, Seth Rogen, Gabriel LaBelle, Mateo Zoryon Francis-DeFord, Keeley Karsten, Alina Brace, Julia Butters, Judd Hirsch