Télévision : 10 juin à 01:29-03:22 sur Canal +

film : drame

Début des années 1980, sur une île de Beauté en pleine ébullition, entre des groupes nationalistes déterminés à obtenir l'indépendance et des clans mafieux qui se livrent une véritable guerre pour devenir les seuls maîtres des lieux, Antonia travaille en tant que photographe pour Corse-Matin, un journal dont le siège se trouve à Ajaccio. Contre son gré, elle se retrouve entraînée au coeur des troubles par Pascal, son sulfureux compagnon qui lui cache certaines de ses activités. Durant plus de trois décennies, l'engagement de la jeune femme, ses amis, ses amours se mélangent aux grands événements de l'histoire politique de l'île... - Critique : Soleil orangé, dans le petit matin. Une jeune femme au volant, fenêtre ouverte, roule, offrant l’image d’un visage plein et paisible. Le plan suivant, dans un tournant, on voit sa voiture filer tout droit vers le précipice. Soleil noir. Il en allait déjà ainsi dans Une vie violente (2017), fresque sur la Corse, représentée comme terre de passions sanglante, romantique et morbide. Cette île pas comme les autres, Thierry de Peretti, né à Ajaccio, l’a dans le sang, de manière ambivalente. Félicité et fardeau à la fois, l’endroit est, pour lui, un sujet inépuisable. Et s’il y revient pour la troisième fois (en comptant Les Apaches, son premier long métrage), c’est sans doute animé d’un repentir, avec ce sentiment qu’il manquait indéniablement quelque chose à ses tableaux précédents. En déplaçant le point de vue vers les événements, glorieux ou piteux, qui ont fait l’histoire politique du nationalisme insulaire, des années 1980 à l’aube du XXIᵉ siècle, il ouvre un nouvel horizon. Ce point de vue est porté par une femme, au sein d’une société violemment patriarcale. Pour cela, le réalisateur s’est trouvé un compagnon d’armes idéal, Jérôme Ferrari, écrivain majeur quoique excentré, dont il adapte un roman publié en 2018. À son image reconstitue sous la forme de fragments l’itinéraire d’Antonia (Clara-Maria Laredo), la conductrice du début. Sa mort annoncée très tôt teinte forcément le film de mélancolie. Laquelle, sans doute inséparable d’une forme de nostalgie, se retrouve aussi au cœur de la photographie, art qu’Antonia commence à exercer jeune et dont elle fera son métier, plus tard, comme photoreporter au quotidien Corse-Matin. C’est son parrain, un prêtre protecteur (interprété par le réalisateur lui-même), qui lui offre son premier appareil. Le souvenir est évoqué par un étrange narrateur, témoin discret – son rôle reste longtemps caché mais il joue un rôle décisif, on s’en aperçoit à la fin. Les mots scandés en voix off, précis, rigoureux, donnent une ampleur introspective au film. En faisant le portrait d’Antonia, le cinéaste raconte sa famille, ses amours, ses amis. Et son indépendance par rapport à cet héritage clanique et familial qui pèse en Corse. Antonia est une femme qui se démarque, en restant à côté de l’action, en observatrice affûtée. Elle est amoureuse d’un beau garçon ténébreux du FLNC – séquence formidable que celle où, appareil photo à la main, elle « mitraille » le dos nu, le cou, les épaules de son amant pendu au téléphone. Elle sait, bien sûr, qu’il est dans la lutte armée. Elle n’est que sympathisante du mouvement, mais elle prend assez vite la mesure du théâtre un peu pathétique qu’offrent en conférence de presse les militants cagoulés, convaincus de faire partie de l’Histoire et de l’infléchir. À cette cause, conditionnée souterrainement par la volonté archaïque de « montrer qu’on est un homme », elle préfère le travail de la photographie, sur laquelle elle ne cesse pourtant de s’interroger, surtout quand elle décide, un moment, de partir à Vukovar couvrir le siège de la ville et le début de la guerre en Yougoslavie. Lucide, Antonia est la première à pointer l’obscénité et la vanité inhérentes à toute tentative de représentation. Elle abandonne alors toute ambition. Des comédiens non professionnels Ce renoncement résonne avec l’exigence ascétique du film, son émotion toujours retenue. La mise en scène du réalisateur est une mise à distance, une mise à nu de la fiction qui repose beaucoup sur une interprétation vériste, quasi documentaire. Comme dans Une vie violente, Thierry de Peretti a fait appel à des comédiens pour la plupart non professionnels. Et d’abord Clara-Maria Laredo, révélation de 20 ans, étudiante en sciences politiques dans la vraie vie, militante active (pour l’écologie, les migrants, les droits des femmes) et assistante d’un député EELV au Parlement européen. Elle et tous les autres interprètes sont impeccables de sobriété. À son image n’en est pas moins un chant lyrique, plein d’innocence et de violentes désillusions. D’images qui restent. Notamment ces photographies en noir et blanc, reflétant un talent balbutiant, mais où rayonnent de vie les amis proches d’Antonia, au temps béni de leur jeunesse. Quelque chose comme un sentiment lumineux, capté à ces instants clés de l’été 1979 passe alors : celui de l’utopie du couple et du collectif, d’une communion qui semble éternelle mais qui sera brisée des années plus tard. Entre musique sacrée et punkDéployé comme un chant romanesque, À son image offre un choix très pensé (supervisé par Frédéric Junqua) de musique, avec des chansons particulièrement exaltantes. En 1979, Antonia et son groupe d’amis assistent à un concert de Chjami Aghjalesi, groupe phare de la musique corse polyphonique, toujours actif aujourd’hui, qui réunit chants traditionnels et sacrés. L’énergie devient plus rageuse avec Bérurier Noir (Salut à toi) et dans une très ancienne ballade sicilienne (Quannu iu moru), revisitée en mode lamento ensorcelant par la chanteuse punk italienne Maria Violenza. Cheb Hasni, grand du raï, assassiné en 1994 par le GIA, est aussi de la fête. Enfin, un bijou de folk-rock sépulcral, Mary of Silence, est porté par la voix éminemment languissante de Hope Sandoval, du groupe Mazzy Star.

Année : 2024

Avec : Andrea Cossu, Antonia Buresi, Barbara Sbraggia, Clara-Maria Laredo, Harold Orsoni, Louis Starace, Marc-Antonu Mozziconacci, Paul Garatte, Pierre-Jean Straboni, Saveria Giorgi, Thierry de, Victoire Du Bois