Télévision : 31 août 2023 à 13:35-15:40 sur Arte

film d'aventures

Aix-en-Provence, en 1832. Angelo Pardi, un jeune officier piémontais, patriote italien, est traqué par des tueurs à la solde de l'Autriche. Il ne doit son salut qu'à la fuite et se lance, à cheval, sur les chemins de Provence. Il traverse des villages ravagés par le choléra. A Manosque, Angelo est accusé d'avoir empoisonné les puits et provoqué la terrible maladie. Il est contraint de se réfugier sur les toits de la ville avant de trouver un asile plus commode chez une jeune femme, Pauline de Théus. La ville est évacuée. Angelo et Pauline se retrouvent peu après et voyagent de conserve. Angelo promet à Pauline de la raccompagner chez elle, à Théus, avant de rejoindre l'Italie. Aux portes du domaine, la maladie les rattrape... - Critique : Rude mission pour Jean-Paul Rappeneau. Justifier, d'un côté, l'un des plus gros budgets du cinéma français ­ et donc réussir un film qui rapporte. Et, de l'autre, rester fidèle à son admiration pour l'un des livres les plus anticinématographiques qui soient, que bien des réalisateurs avant lui (Roger Leenhardt, Buñuel ou René Clément) avaient songé à adapter. En apparence, ça bouge tout le temps chez Giono. Dans la France de 1832, Angelo cherche à retourner en Italie pour apporter des subsides à ses amis qui résistent à l'occupation autrichienne. Pauline de Théus est à la recherche de son mari. Et le choléra poursuit et rattrape tout le monde. Excepté Angelo, bien sûr, protégé du mal et du malheur par son armure de pureté, son innocence, son inconscience, allez savoir. En fait, chez Giono, ça ne bouge pas tant que ça. Le Hussard sur le toit, c'est, si l'on ose écrire, une poursuite immobile. Celle qui permet à un jeune homme à la fois naïf et superbe, comme pourrait l'être Fabrice del Dongo dans La Chartreuse de Parme, de trouver son âme. L'âme étant liée, pour Giono, aux qualités du coeur et du corps. De rencontre en rencontre ­ le médecin dévoué (François Cluzet), la jeune gouvernante pétrie de littérature (Isabelle Carré), le colporteur (Jean Yanne) et Pauline de Théus (Juliette Binoche) ­, Angelo (Olivier Martinez) acquiert cette noblesse intérieure qui le tenaillait, sans même qu'il s'en rende compte. Les épreuves qu'il traverse ne le défont pas ; bien au contraire, elles le font. Elles l'achèvent, en quelque sorte, et le maintiennent en vie, puisque Angelo n'a pas peur de la perdre. Car, pour Giono, seule la peur tue. Redouter la mort, c'est l'appeler à grands cris. La mépriser, c'est la maintenir en laisse. La braver, c'est la vaincre... Tout ça pour dire qu'en définitive, chez Giono ­ cinématographiquement parlant ­, ça ne bouge pas ! Durant la première partie du livre, Angelo commence sa quête. Au milieu (au bout d'une heure chez Rappeneau), il rencontre Pauline. Tous deux entament alors un parcours sensuel et chaste qui va se muer en passion. Inexprimée, bien sûr. A ce jeu-là, Nina Companeez excelle. Rappeneau lui a demandé (ainsi qu'à Jean-Claude Carrière) d'adapter le roman avec lui. On croit reconnaître sa griffe lors de la très belle séquence où, tout près du château de Théus, les deux héros se retrouvent prisonniers de la pluie dans une propriété voisine et déserte. Pauline a bu. Elle a de la fièvre. Les mots veulent s'échapper de ses lèvres, qu'Angelo ne songe même pas à entendre. Gestes ébauchés, arrêtés net. Paroles trop claires, soudain ravalées. A ce moment-là, l'amour qui est, mais ne sera pas, évoque Raphaël ou le Débauché, que Nina Companeez avait, jadis, écrit pour Michel Deville. Pour montrer donc que ça bouge, et même plus que certains esprits chagrins ne le pensent, chacun a apporté des solutions. Les adaptateurs, pour commencer. Ils ont bien souligné, afin de captiver dès le départ le spectateur, qu'Angelo était constamment menacé. Par le choléra, bien sûr, mais, surtout, par des espions et des traîtres à la solde de l'Autriche. Jean-Paul Rappeneau n'a pas été en reste. Y a-t-il une scène d'action à faire ? Rappeneau est là, et bien là. Soudain, tout court, tout vole, tout caracole. Poursuivi par la populace de Manosque, qui l'a pris pour un empoisonneur, Angelo se réfugie sur un toit ; il joue au funambule avant de tomber dans la maison de Pauline, à qui il se présente en une phrase orgueilleuse et incongrue : « Je suis un gentilhomme. » Tout cela est mené tambour battant. Rappeneau réussit aussi, comme une série de toiles menaçantes, ces vols de corbeaux qui hantent les villages dévastés par le choléra. L'exode de fuyards terrifiés lui inspire quelques moments lyriques. Et, magistralement dirigé, Olivier Martinez a fière allure ­ dès lors qu'il se tait ! Bref, à quelques détails près (la musique redondante), c'est irréprochable. Irréprochable mais illustratif. L'illustration serait-elle un piège ? Le plus souvent, oui, puisqu'elle prive le cinéaste de sa liberté d'invention. Or, comme eût pu dire monsieur de La Palice : « Un inventeur, ça invente, donc ça crée ; un illustrateur, ça illustre, donc ça recrée. Au pire, ça copie. » Jean-Paul Rappeneau, incontestablement, est un inventeur. Un créateur. Un créateur qui s'est plu, par amour pour Giono, à illustrer ­ parfaitement ­ Le Hussard sur le toit. Mission impossible accomplie. On peut néanmoins se montrer perplexe devant une idée qui revient périodiquement à l'esprit des producteurs français sous diverses appellations. La dernière en date, depuis Germinal et Le Colonel Chabert, c'est : « films du patrimoine ». Entendez par là des films de prestige, adaptés de classiques littéraires et destinés à devenir des classiques cinématographiques. Sur le papier, c'est superbe. Sur la pellicule, ça l'est souvent moins. Les seuls chefs-d'oeuvre du cinéma inspirés par la littérature sont tirés de petits romans (Madame de..., d'Ophuls, d'après Louise de Vilmorin, Le Mépris, de Godard, d'après Moravia), d'extraits (Les Dames du bois de Boulogne, de Bresson, via Diderot), de nouvelles (Gens de Dublin, de Huston, inspiré de James Joyce) ou constituent des détournements manifestes (Manoel de Oliveira revisitant Madame Bovary pour en faire Val Abraham). La meilleure raison de « redouter » ces « films du patrimoine », c'est précisément Le Hussard sur le toit. Parce qu'on a ici le meilleur de ce que cette fausse bonne idée peut donner. L'ardeur, l'enthousiasme ­ le talent, pour tout dire ­ de Jean-Paul Rappeneau lui permettent de s'en sortir.

Année : 1995

Avec : Christiane Cohendy, Claudio Amendola, Elisabeth Margoni, François Cluzet, Gérard Depardieu, Isabelle Carré, Jean Yanne, Juliette Binoche, Laura Marinoni, Olivier Martinez, Paul Freeman, Pierre Arditi