Télévision : 26 novembre 2017 à 02:20-04:55 sur Canal +

film : comédie dramatique

Une femme d’affaires psychorigide voit son guignol de père bouleverser sa vie. Charge loufoque contre le libéralisme triomphant ou interminable pensum? Critique :

Pour

Le père d'une executive woman sème le désordre dans son existence cadenassée. En résumant ainsi ce film, on ne serait pas dans l'erreur, mais on risquerait fort de le desservir, tant il échappe à tout raccourci, à toute synthèse « réaliste » ou « psychologique ». Ce père et sa fille n'arrivent plus à se parler et ne savent pas eux-mêmes pourquoi. Un brouillard opaque les sépare, que cette fable explore de manière particulièrement originale, sans oublier de parler du monde contemporain. Allemande de 37 ans expatriée à Bucarest, Ines est une consultante financière en tenue impeccable, droguée du travail. Très affairée, à la veille d'une négociation délicate, elle n'apprécie pas vraiment l'arrivée de son père, un boute-en-train négligé qui jaillit, tel un diable de sa boîte, au beau milieu du hall de son entreprise roumaine, affublé d'une perruque informe couleur prune et d'un dentier postiche. Elle l'invite malgré tout à un cocktail d'ambassade, où il continue à jouer les guignols à coups de saillies loufoques. Elle en a honte. Quand il repart vers l'Allemagne, c'est un soulagement ! Sauf que ce père farceur ne prend pas son avion : il s'incruste tel un parasite dans son environnement. Provoquant fascination et gêne, il va agir comme un agent perturbateur et révélateur du cirque ambiant, celui des convenances sociales et du libéralisme triomphant. Maren Ade, la réalisatrice, en fait un électron libre et déchaîné, qui nous fait décoller du réel et nous embarque vers des régions insoupçonnées. Susciter l'imaginaire et le rire, échapper aux divers carcans qui entravent chacun de nous, tel est le programme. De la ville à la campagne, de réceptions guindées en site industriel perdu au fin fond de la Roumanie, le film tourne à l'expédition picaresque. La farce sur le lien filial est hilarante, mais aussi émouvante. C'est à chaque fois la mise en situation absurde, le décalage créé par le télescopage des rencontres qui dévoilent les qualités et les défauts de chacun. Personne ici n'a vraiment tort ou raison, le père trimballant, aussi, sa part d'immaturité et de frustration. Désarçonnant, le film réserve jusqu'au bout des surprises. Dont une scène de brunch entre collègues, organisé dans le but de ressouder l'équipe, et où tout le monde finit littéralement à poil. De pilosité, il est d'ailleurs pas mal question, notamment à travers l'irruption d'une créature, mélange de yéti et de Wookiee. Pour assurer un spectacle si déconcertant, il fallait des comédiens à la hauteur. Ceux que Maren Ade a choisis sont impressionnants. Peter Simonischek, un grand du théâtre allemand, fait un travail de dentellière avec son rôle de trublion. Sandra Hüller se montre quant à elle tour à tour psychorigide, dominatrice et fragile. La scène où elle est incapable de retirer sa robe trop moulante, où elle se tortille sans fin, déroule, tire le tissu, tente de s'extraire de son corset oppressant, est un grand moment burlesque à forte teneur symbolique : on assiste là, ni plus ni moins, à la métamorphose d'une femme sortant de sa chrysalide. — Jacques Morice

Contre

Passons sur la description du monde de la finance internationale, censée pervertir et assécher l'héroïne : elle est d'une banalité confondante. A-t-on jamais vu patrons aussi ternes, employés aussi bêtes, réunions aussi foireuses... Visiblement, Maren Ade ne connaît rien à ce qu'elle décrit et que d'autres, récemment, ont si bien dénoncé (de J.C. Chandor et Margin Call, pour la fiction, à Jean-Stéphane Bron et Cleveland contre Wall Street, pour le documentaire). Mais, dira-t-on, l'essentiel n'est pas là : le vrai sujet est l'histoire d'un père qui use d'extravagance pour réapprendre à sa fille, avide de réussite, les vraies valeurs de l'existence. Mais, là encore, la réalisatrice se plante. Aucune finesse, aucun rythme : catastrophe totale si l'on songe au brio étincelant d'un Ernst Lubitsch ou d'un Frank Capra, qui, jadis, en moins de quatre-vingt-dix minutes, provoquaient une euphorie que la réalisatrice allemande poursuit en vain durant deux heures quarante-deux... Tout est balourd dans son interminable pensum. La mise en scène (enfin, c'est vite dit : il n'y en a pas). Les acteurs : la fille n'en fait pas assez et le père, beaucoup trop. Les gags : c'est tout de même — qui l'eût cru — la réhabilitation du bon vieux coussin péteur qui faisait se tordre de rire nos grands-­parents. Le pire, c'est quand la vulgarité l'emporte : la scène où l'héroïne avale le cupcake sur lequel vient d'éjaculer son ridicule amant. Tout est ringard et navrant. — Pierre Murat

Année : 2016