Télévision : 15 novembre 2017 à 20:55-22:30 sur Arte

film documentaire

A partir de rushes restés longtemps invisibles et de témoignages, les réalisateurs racontent le tournage délirant de L'Enfer, d'Henri-Georges Clouzot, en 1964. Une histoire folle de naufrage esthétique, au milieu duquel surnage une Romy Schneider torride. Critique : Il arrive que des films inachevés et jamais sortis trouvent, malgré tout, leur place dans les filmographies des cinéastes. C'est le cas de L'Enfer, de Clouzot, tourné en 1964, oeuvre légendaire aux péripéties multiples. A commencer par un épisode assez rare : l'infarctus du metteur en scène, intervenu au bout de trois semaines de tournage. Dans d'autres circonstances, la fin du tournage aurait été ajournée ou le metteur en scène, remplacé. Sauf que cet accident sonna, en son temps, comme une délivrance. Plus de quarante ans après, Serge Bromberg et Ruxandra Medrea ont reconstitué cette folle histoire en intégrant à leur récit un matériau de choix qu'on croyait perdu : une partie des rushes et des essais innombrables, tournés par Clouzot, mais sans la bande-son - elle, bel et bien disparue. L'histoire est celle de Marcel (Serge Reggiani) dévoré par le démon de la jalousie. Tenancier d'un petit hôtel de province situé en contrebas d'un viaduc, il passe son temps à épier celle qu'il aime, son épouse éblouissante (trop ?), au prénom proustien, Odette (Romy Schneider). Il la suit, la bombarde de questions, soupçonnant qu'elle le trompe. Un scénario repris par Claude Chabrol en 1994, dans un remake d'excellente tenue, délesté des effets bizarroïdes orchestrés par Clouzot. Réaliser un film « plastique », tel est en effet son souhait. A l'époque, au zénith de sa carrière, Clouzot est l'un des cinéastes les plus réputés en France. Il peut tout se permettre : d'ailleurs - chose impensable au­jourd'hui - son budget est illimité ! Puisant dans l'art optique et cinétique, il sollicite plusieurs opérateurs et ingénieurs du son pour lancer diverses expérimentations. Filtrages de couleur, images kaléidoscopiques, tout le monde se prête à ce jeu moderniste, acteurs et techniciens. Aujourd'hui, ces effets paraissent un peu datés. Ce qui se dessine, surtout, c'est l'histoire d'un échec : une greffe impossible entre cinéma « classique » et cinéma expérimental. Dans sa folie des grandeurs comme des profondeurs, Clouzot embarque tout le monde. A travers plusieurs témoignages pertinents (notamment le réalisateur Bernard Stora , à l'époque assistant stagiaire), on mesure combien le tournage prend, au jour le jour, une dimension délirante autant qu'absurde : plusieurs caméras, plusieurs équipes qui attendent, et Clouzot le perfectionniste qui s'obstine sur des détails, qui « sadise » le pauvre Reg­giani. Dans un mouvement de spirale infernale, le film fonce dans le mur et personne n'est là pour l'arrêter. Cette fatalité en marche est le fil rouge captivant du documentaire de Bromberg et Medrea : montrer l'enfermement progressif d'un cinéaste à l'intérieur de sa création, perdant pied jusqu'à se confondre avec son personnage masculin. Dans cette bérézina, reste un trésor à sauver : Romy Schneider. Délaissant ses aventures en crinoline, l'ex-Sissi débute alors une autre carrière, en France. Elle a déjà tourné avec Welles (Le Procès), Cavalier (Le Combat dans l'île). Mais L'Enfer consacre son avènement. Elle y est triomphante et vénéneuse. Adulte et moderne. Lorsqu'elle fixe son regard sur nous, impossible de ne pas devenir à notre tour comme Marcel : raide dingue amoureux.

Année : 2009