Télévision : 13 novembre 2017 à 01:45-03:55 sur Numéro 23

film : drame

Pour aider un pote, deux ouvriers à la retraite forcée persuadent un truand de faire un hold-up… Film à l'ancienne, humaniste, aux dialogues acérés et aux seconds rôles magnifiques. Un hymne à la fraternité, mélancolique et féroce. Critique : Une Mobylette. Une Mobylette de rien du tout. Dans La Raison du plus faible, elle joue le même rôle que la robe de première communion dans le magnifique Raining Stones, de Ken Loach, auquel le film de Lucas Belvaux ressemble beaucoup. C’est à la fois un symbole et un révélateur. Car cette Mobylette neuve – l’ancienne vient de rendre l’âme définitivement –, Patrick ne peut pas la payer à sa femme, Carole. Bac + 5 et néanmoins au chômage depuis de longs mois, il se sent tout juste bon, désormais, à faire les courses, à jardiner, à s’occuper – avec attention – de leur fils, Steve.Cette Mobylette, les copains de Patrick, ceux qu’il retrouve, chaque après-midi, dans leur bistrot favori pour jouer aux cartes voudraient bien la lui offrir. Mais Jean-Pierre n’a plus rien dans la vie, même pas ses jambes, et Robert, son pote, est aussi fauché que lui. Et fâché, lui, extrêmement fâché contre cette société qui les a tous cueillis et pressés comme des citrons, avant de les rejeter comme des malpropres quand l’usine a fermé... De rage, de colère – mais sans y croire vraiment –, c’est lui qui va proposer un « coup » à Marc, ex-taulard, devenu compagnon de parties de cartes, qui travaille à l’usine à bière du coin.Ce film célèbre l’amitié, la solidarité – mieux : la fraternité –, et cela suffit déjà à en faire un objet rare dans le paysage actuel. Qu’il ose, en plus, et avec fierté, célébrer l’« aristocratie de la classe ouvrière » en fait, définitivement, un ovni précieux. On est pantelant d’émotion lorsqu’une nuit, pour convaincre Marc de participer à leur hold-up dément (il s’agit, en toute simplicité, de dérober 1 million d’euros), Robert lui raconte « son » usine. Celle où, comme tant d’autres, il a passé trente ans de sa vie. Celle qui leur servait à tous de famille, lorsque la vraie se carapatait à force de pauvreté et de désespoir. Celle qui leur prenait tout, même les jambes de Jean-Pierre, mais qu’ils aimaient au point d’en pleurer quand on les a virés : « Cinq générations qu’on s’est fait exploiter, et quand on commençait tout juste à gagner un peu plus que la misère pour vivre, c’était encore trop, pour eux. Alors “ils” sont partis ailleurs, plus loin, chercher des gens plus pauvres, plus fragiles... »C’est un film à l’ancienne. Avec des répliques très écrites qu’on a envie de garder en bouche, comme celles qui opposent Jean-Pierre à Robert, soudain énervé : « T’es vraiment un con. – Je le sais, tu me l’as déjà dit. – Oui, mais t’es tellement con que ça vaut la peine de te le dire deux fois ! »... Interprété par deux comédiens merveilleux (Patrick Descamps est également directeur de théâtre et Claude Semal est auteur-compositeur-interprète), Jean-Pierre et Robert sont l’âme de cette histoire, qui commence comme un constat social, flirte avec la comédie à l’italienne (la préparation enfantine du hold-up rappelle irrésistiblement Le Pigeon, de Monicelli), pour se clore en thriller noir à l’américaine.Trop long, le film le devient lorsque Lucas Belvaux, réalisateur, permet à Lucas Belvaux, comédien, de rejouer à peu de chose près le rôle qu’il avait déjà tenu dans l’un de ses films précédents, Cavale. Celui du gangster romantique distribuant aux pauvres des billets volés qui, soudain, tourbillonnent comme lors d’un de ces dénouements dérisoires qu’aimait John Huston. De longues minutes, les hélicoptères volent ; les flics hurlent, les coups de feu claquent, comme dans un polar spectaculaire...Plus précieuse, la discrétion du film : Eric Caravaca, muré dans son orgueil imbécile, mais tout fier, un bref instant, d’être complimenté par ses potes qui se sont invités à dîner pour l’excellence des légumes qu’il a réussi à faire pousser dans son jardin. Ou Natacha Régnier, si lumineuse, qui se demande, brusquement, si son mec, dont elle découvre les faiblesses, ne la quittera pas pour une plus jeune quand elle aura 40 ans...Le film jongle ainsi, joliment, plaisamment, insolemment, entre drôlerie et tristesse. Même si la mélancolie qui le cerne, tout du long, semble l’emporter sur la fin, cette victoire est dérisoire, une victoire à la Pyrrhus. Contrairement à bien des cinéastes qui la refusent ou sont tout simplement incapables de la susciter, Lucas Belvaux insuffle à son film une énergie féroce. Et qu’importe, après tout, que ce soit celle du désespoir.

Année : 2005