Télévision : 1er octobre 2017 à 21:00-23:40 sur C8

film : drame

Prisonnier du ghetto de Varsovie, un pianiste se terre dans les ruines. Polanski trouve la note juste pour dire la vérité essentielle de l'humanité en temps de guerre. - Critique : Wladyslaw Szpilman était son nom. En 1935, la radio d'Etat polonaise l'engagea, à Varsovie. Il avait 24 ans et son talent était déjà reconnu. Un grand pianiste, une célébrité. Il devait sûrement en imposer, ce jeune prodige. Sur l'écran aujourd'hui, joué par Adrien Brody, c'est un homme qui semble presque capable de disparaître derrière la musique qu'il fait surgir au bout de ses doigts. Une admiratrice l'attend devant les studios de la radio, et c'est lui qui l'admire aussitôt. Mais les Allemands bombardent. C'est 1939, la nuit noire du nazisme tombe sur Varsovie et sur le discret, le secret Wladyslaw Szpilman. Roman Polanski ne le quitte jamais, si proche de ce personnage qu'il paraît le connaître depuis toujours. Si le pianiste est réservé, c'est sans doute que son metteur en scène l'est aussi. L'un et l'autre fuient la virtuosité pour la virtuosité, les effets, la complaisance. Mais, pour Polanski, qui a souvent été tenté par les exercices de style, c'est une sobriété nouvelle. Même avec sa Palme d'or, son film est parfaitement étranger à ce désir plutôt bien vu au cinéma : briller. Son ambition est plus grande et plus sérieuse. Il s'agit de trouver la note juste pour une partition retentissante et délicate : la vie de Wladyslaw Szpilman tout au long des années de guerre, dans le ghetto puis dans les ruines de Varsovie, la mort toujours à ses côtés. Pour raconter cette histoire, Polanski ne se place pas en grand chef d'orchestre d'une superproduction. Il y a de l'ampleur dans cette reconstitution, dans cette vision d'un monde disparu, mais la sensibilité qui domine, c'est celle du soliste. Du pianiste : un homme seul filmé par un homme qui connaît visiblement la solitude. Ici, elle est partout. Les premiers effrois passés, on veut vite se rassurer chez les Szpilman : autour du poste de radio, Wladyslaw, ses parents, son frère et ses deux soeurs écoutent les nouvelles. L'Angleterre entre en guerre, et la France va suivre, « la Pologne n'est plus seule ! » Mais si, elle est seule. Comme ils sont seuls, tous les juifs qui sont conduits dans le ghetto en un long cortège funèbre, comme au tombeau. C'est pourtant encore la vie, chacun veut y croire, et Polanski montre cet espoir qui s'accroche à tout, même à ce qui ne peut faire que le désespoir. Mais il ne joue pas avec les illusions de ses personnages. Jamais mélodramatique, sa peinture du ghetto de Varsovie ne dit, profondément, qu'une seule chose : là, il n'y avait plus de salut. Et plus beaucoup de solidarité. Quand la faim et la peur tenaillent, le chacun-pour-soi devient la loi commune. La bonté n'est pas forcément aussi efficace. Un homme qui a signé un faux certificat de travail pour le père de Wladyslaw Szpilman le lui donne avec ces mots : « Ça ne servira à rien. » Même avec les papiers qu'exigent les Allemands pour vous accorder le droit de rester dans le cauchemar du ghetto, vous serez déportés. Le pire est toujours sûr. Pas de colère ni de pathos pour rappeler cela. Polanski ne se fait pas le porte-voix des sentiments dictés par l'Histoire. Il a les siens, généreux sans naïveté, pessimiste sans insistance. Quand les Szpilman sont parqués, avec d'autres, avant d'être envoyés à Treblinka au « recyclage », comme dit un soldat, le père achète un caramel et le coupe en six morceaux. La scène est émouvante, mais pas seulement. C'est aussi une image terre à terre, lucide, d'une histoire collective devenue terriblement dérisoire : un pauvre caramel, payé une fortune parce que la loi du profit est increvable, c'est tout ce que peuvent partager ces six-là. Car c'est chacun sa guerre. Le train de la mort part. Wladyslaw Szpilman n'est pas dedans. L'Histoire ressemble à une partie de roulette russe. La vie à laquelle chaque habitant du ghetto se rattache, cette vie magnifique pour laquelle ils sont prêts à endurer tout, les Allemands la jouent aux dés. Ou c'est tout comme. Une femme pose une question à un soldat, il lui répond en lui tirant une balle dans la tête. Il aurait pu lui donner une claque, des coups de poing, un coup de crosse, l'insulter ou lui parler : c'est comme ça lui chante, il a tous les droits. Cet horrible « bon plaisir » des nazis domine tout le film, et son pouvoir de terreur n'a jamais été plus impressionnant. Des Allemands entrent dans un immeuble du ghetto, ou font aligner des hommes dans la rue. C'est rapide, c'est brutal, comme si la foudre tombait. Des atrocités de la guerre, on en a sûrement vu d'autres au cinéma, plus insupportables encore. Mais devant ces scènes du Pianiste, la peur la plus grande nous gagne : celle d'un enfant effaré, désemparé, horrifié. Cet enfant que fut Polanski, à Cracovie, dans le ghetto. Wladyslaw Szpilman redevient lui-même un petit garçon. Echappé du ghetto, il trouve refuge dans des appartements déserts où des amis polonais le laissent avec toujours la même recommandation : ne fais pas de bruit. Comme un enfant sage et solitaire, Wladyslaw Szpilman observe alors, par la fenêtre, le spectacle de la guerre qui continue. C'est là qu'Adrien Brody apparaît définitivement comme un extraordinaire interprète pour ce personnage. Aucun acteur n'a autant d'enfance dans le regard. Le sens du temps, de la guerre, de la vie, de la mort, durant cette dernière partie tout se perd dans un monde qui semble avancer, tout à la fois, vers le néant et vers la paix. Quand Wladyslaw Szpilman rencontre finalement un officier allemand qui pourrait l'achever mais qui lui donne à manger, les grands sentiments menacent : bonté, pardon, pitié... La vérité des personnages, plus étrange, l'emporte heureusement encore : Szpilman est devenu une sorte d'homme des cavernes, sauvage hirsute, et la barbarie nazie a le visage de cet officier mélancolique et mélomane. L'homme des cavernes joue Chopin, et la musique dissipe la terreur, efface tout. Un moment magnifique, entre le miracle et l'absurdité de la vie. Avec Polanski, l'absurdité est émouvante, comme une image de l'humanité sans fard. Wladyslaw Szpilman, pianiste sans piano pendant presque tout le film, pianiste dans les ruines, est l'homme de l'absurdité. Il a survécu là où il ne pouvait pas vivre, il est magnifiquement humain - Frédéric Strauss

Année : 2001

De : Roman Polanski

Avec : Adrien Brody, Richard Ridings, Popeck, Udo Kroschwald, Thomas Kretschmann, Frank Finlay, Maureen Lipman, Emilia Fox, Ed Stoppard, Julia Rayner, Jessica Kate Meyer, Michal Zebrowski