Télévision : 13 mars 2018 à 13:35-15:10 sur Arte

film : drame

Le récit fulgurant d’une jeunesse sur un fil. Suzanne (Sara Forestier, très émouvante), mère à 17 ans, laisse tout pour vivre sa passion avec un délinquant à gueule d’ange. Critique : Suzanne, comme le standard de Leonard Cohen. Et le titre longtemps envisagé par Maurice Pialat pour A nos amours. A mi-chemin entre le lyrisme de la chanson et le naturel du film, Suzanne est aussi, désormais, le récit fulgurant d'une jeunesse sur un fil, de l'enfance à la trentaine. Elle tombe enceinte à 17 ans, encore lycéenne, et décide de garder l'enfant. Elle tombe amoureuse à 20 ans, mère célibataire, et décide de laisser son fils derrière elle pour vivre cette passion avec un délinquant à gueule d'ange. L'intensité du deuxième long métrage de Katell Quillévéré (après Un poison violent) tient beaucoup à tout ce qu'il élude. Sur le quart de siècle couvert par l'histoire, des périodes de plusieurs années sont laissées en blanc, et des événements cruciaux, escamotés. Les cavales, la violence et les délits ne sont pas filmés. Leurs conséquences sur les visages et sur les sentiments, oui. Après chaque ellipse, on découvre une nouvelle donne, on retrouve Suzanne confrontée un peu plus à son destin, assumant des choix incompréhensibles pour son entourage. Sara Forestier illumine ce personnage de grande amoureuse souvent interdite devant la brutalité de la vie, de cham­bre d'hôtel en cellule de prison. On ne l'avait pas vue aussi émouvante depuis L'Esquive, d'Abdellatif Kechiche, son premier film. Autre belle idée, la présence fantomatique, tenace, de Suzanne quand elle disparaît des radars : Katell Quillévéré filme les proches désarmés, incomplets, dévastés par le manque. Le père routier (François Damiens, touchant) laisse la photo de sa fille à un jeune auto-stoppeur dont l'errance lui rappelle cruellement Suzanne. La petite soeur ouvrière croit voir la fugitive au fond d'une boîte de nuit dans un flash stroboscopique — Adèle Haenel, douce et forte, superbe, est l'autre pilier du film. Cette façon qu'a la cinéaste de s'attacher à ceux qui restent devient un point de vue lumineux sur la famille : c'est la trajectoire d'une seule qui rythme et façonne l'existence des autres. Suzanne vit. Les siens ne font que réagir et s'adapter tant bien que mal. Or la mécanique peut s'inverser un jour, si quelque chose d'encore plus imprévisible que les actes de l'héroïne se produit... Le film va jusqu'au bout de son élan romanesque, passant et repassant par le cimetière où se trouve depuis le début la mère de Suzanne. Et laisse les survivants de l'odyssée familiale sonnés et incrédules, après l'orage, devant leur capacité intacte à s'aimer. Comme dans un célèbre roman de Maupassant, « la vie, ça n'est jamais si bon ni si mauvais qu'on croit ». — Louis Guichard Sortie le 18 décembre.

Année : 2013