Télévision : 19 février 2018 à 20:55-23:15 sur Chérie 25

film : drame

Andrew, avocat, atteint du sida, est licencié. Film dénonciateur qui, malgré ses défauts, eut le mérite de parler de la maladie et du rejet qu'elle provoque. Critique : Qu'est-ce qu'un film bien ? », demandait, dans Lettre pour L..., Romain Goupil... « Philadelphia », répondrait Jonathan Demme. Et il aurait raison. Philadelphia est un film « bien ». Civique. Généreux. Grand public. Le premier film à gros budget consacré au sida par les studios américains est inattaquable. Au banc des exclus, un homme de loi, justement : Andrew Beckett (Tom Hanks), avocat brillantissime. Officiellement, il a été renvoyé pour faute professionnelle. Officieusement, il est homosexuel et il a le sida. Pour preuves, les marques naissantes du syndrome de Kaposi sur son visage. Andrew, qui connaît la loi par coeur, réclame justice. Mais, côté employeurs comme côté défenseurs, on fait la sourde oreille. Prenez l'avocat noir Joe Miller (Denzel Washington, formidable), l'apôtre des causes désespérées ! Même lui refuse de défendre Andrew. Il a suffi que son collègue franchisse sa porte et lui avoue son état pour que l'air devienne irrespirable. Joe se rue vers la fenêtre, comme s'il pouvait être sauvé par la lumière, fixe la trace qu'a laissée la main d'Andrew sur son bureau... et se rue chez son médecin, persuadé d'être contaminé par le virus. Andrew devra donc se défendre seul... A moins que Joe Miller ne surmonte ses préventions envers les homosexuels en général, et les malades du sida en particulier. La loi contre les préjugés : en quelques scènes, Jonathan Demme donne le ton. Philadelphia est d'abord un plaidoyer en faveur du droit. Andrew Beckett est la victime d'une infraction à la législation et mérite réparation, comme n'importe quel citoyen américain. Alors, comme les jurés, dans le box du tribunal où Andrew a réussi à faire entendre son cas, comme Joe Miller, l'avocat noir qui a finalement accepté de le défendre, nous voilà entre deux feux : appelés, nous aussi, à statuer, en notre âme et conscience, sur l'exclusion d'un homme. Quitte à bousculer quelques tabous au passage. Des tabous que Jonathan Demme a pris soin d'évoquer avec le plus de discrétion possible, en ménageant les sensibilités. Quand il filme la maladie à l'oeuvre, il la filme crûment mais vite. Comme si la vérité devait surtout ne pas effrayer. Et, dans ses costumes flanelle et ses pulls cachemire, Andrew, l'homosexuel yuppie, conserve cette « touch of class » des hommes de bon ton. Famille unie et compréhensive, petit ami discret, il passe inaperçu. Il est aussi réservé, Andrew, que ceux qui l'ont mis à la porte. « Etes-vous homosexuel ? », demande Joe Miller au patron d'Andrew. Le pdg se trouble, menace : brandie dans le prétoire, la question de l'avocat noir fait l'effet d'une bombe. En quelques mots, le procès d'un employé renvoyé illégalement parce qu'il a le sida, devient celui d'un homme coupable de déviation sexuelle ; coupable d'avoir péché. Et l'avocat d'Andrew le prouve : le même pdg a maintenu dans ses fonctions une employée séropositive... victime d'une transfusion sanguine ! « On ne me parle plus et on m'évite », dit la jeune femme. Elle a été exclue, elle aussi, mais sauvée, elle, par sa moralité. Grâce à Joe Miller, voilà Andrew réhabilité et la justice rendue. Il n'aime pourtant pas beaucoup les homosexuels, Joe Miller, il a bien du mal à digérer que sa propre tante aime les femmes et que sa propre épouse la défende. Mais il place la loi au-dessus de tout, comme un rappel à la mesure. Cette mesure, à travers laquelle toutes les opinions sont permises mais où, seule, la justice prévaut, fait de Philadelphia un film « bien ». Pas subversif, au sens où l'entend Romain Goupil : consensuel. Jonathan Demme renoue avec la grande tradition des films à la Capra, quand l'Amérique venait planter ses grands débats dans les prétoires pour incliner l'opinion publique à davantage d'équité et de raison. Loin des productions intimistes consacrées au sida dans les années 80 (Un compagnon de longue date, Parting Glances), Philadelphia remplit son contrat : sortir la maladie du ghetto, et ses victimes de l'exclusion... sans choquer personne. Pourtant, à trop vouloir « bien » faire, Jonathan Demme en fait trop, justement. Il remet le spectateur dans le droit chemin aussi studieusement qu'il le terrorisait, il y a trois ans, dans Le Silence des agneaux. Et avec le même sens de la manipulation. Des plans sans grâce, des scènes souvent étirées et une musique redondante : Philadelphia évoque souvent la copie d'un élève soucieux de décrocher une bonne note. Ce n'est qu'au bord de gagner son procès qu'Andrew se laisse aller à sa fantaisie : déguisé en marin dans une fête ou grisé et presque hystérique en écoutant un opéra. D'autres clichés suivent, l'enterrement d'Andrew, interminable, des photos de lui, enfant, émouvantes sans doute mais inutilement larmoyantes, presque indécentes. Comme si, après avoir gagné sa propre réhabilitation, Jonathan Demme en voulait encore plus. Plus d'émotions, plus de larmes. En 1990, Le Silence des agneaux, qui racontait les crimes d'un homosexuel névrosé, avait soulevé un tollé de la part des ligues américaines. Avec Philadelphia, Jonathan Demme rectifie le tir : clean, mais sans génie - Marie-Elisabeth Rouchy

Année : 1993