Télévision : 16 décembre 2017 à 07:59-09:35 sur Canal +

film : drame

Le cœur d’un adolescent accidenté, transplanté sur une mère de famille quinquagénaire… Katell Quillévéré (Suzanne) adapte Maylis de Kerangal : émotions fortes et respirations élégiaques. Un film choc. Critique : Le roman de Maylis de Kerangal, avec ses deux cent mille exemplaires vendus, ses dix prix littéraires et ses deux adaptations théâtrales est un étrange phénomène : une fiction populaire dont le vrai personnage principal est un coeur transplanté, une partie d'humain plutôt qu'un tout. Jamais le trajet d'un organe d'un corps vers un autre n'avait été raconté avec cette précision clinique, minutée, en traversant les pensées de tous les êtres concernés, patients, médecins, infirmiers, familles... Dans le texte, la faculté d'analyse de la romancière tient à distance les trémolos. A l'écran, c'est forcément une autre affaire. Filmer l'agonie d'un surfeur adolescent et les réactions de ses parents, voilà un défi pour un(e) cinéaste qui refuse les facilités. Dans son précédent et deuxième long métrage, Suzanne (avec Sara Forestier, Adèle Haenel et François Damiens), Katell Quillévéré réussissait un mélo familial sur un quart de siècle, d'une sobriété miraculeuse : troué d'ellipses, vidé de ses événements décisifs, dont la réalisatrice ne captait que les traces. Cette fois, au contraire, elle filme tout. L'accablement, les larmes, les cris, le manque. Le chagrin de ceux qui restent. La faiblesse pathétique de celle qui attend une greffe. Cette frontalité déconcerte, d'abord. Au moment le plus chirurgical du récit, elle se révèle, néanmoins, un vrai parti pris, comme l'était l'évitement des drames dans ­Suzanne. Face au torrent de sensations et d'émotions fortes, la tenue du film repose, en partie, sur le jeu des acteurs, la plupart connus (de Tahar Rahim à Dominique Blanc). Ça passe ou ça casse. Emmanuelle Seigner impressionne en mère de l'accidenté, avec ces « yeux Signoret », ces « yeux Rampling » dessinés instantanément par la douleur, que décrit Maylis de Kerangal. Kool Shen, qui joue le père, est plus embarrassant. Question de dosage. Mais cette adaptation offre aussi, comparé au timing serré du livre, des res­pirations songeuses. La plus éblouissante concerne les prémices de l'accident : des effets spéciaux font des derniers moments de surf de l'adolescent un temps suspendu, irréel, dans un espace mi-aquatique, mi-aérien, qui fixe la joie et annonce l'éternité de la mort. Par la suite, Katell Quillévéré délaisse régulièrement l'action au profit de la méditation. La peau tatouée du garçon inconscient, le statut incertain de son corps (vivant ou mort), et plus tard la mélancolie de la receveuse prêtent à des digressions douces, pleines d'échos, de résonances. La cinéaste a la bonne idée de mettre l'accent sur la différence d'âge entre celui (jeune) qui meurt et celle (mûre) qui pourra revivre : le don d'organe s'effectue à l'aveugle, indifférent à la raison, à la logique. Le film étoffe le personnage de Claire, quinquagénaire, et invente même à cette mère de famille une vie amoureuse laissée en suspens à cause de la maladie. Anne Dorval, la « Mommy » de Xavier Dolan, tient ce rôle (une autre actrice fétiche du Québécois, Monia Chokri, joue une infirmière...), sûrement pas par hasard. La relation filiale (spécialité de Dolan) s'impose comme un motif central et émouvant, de la première famille à la deuxième. Symboliquement, Réparer les vivants raconte la mort, le sacrifice d'un fils pour que vive une mère. Et parvient à montrer cette anomalie, ce quasi-scandale comme un accomplissement. — Louis Guichard

Année : 2016