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film : drame

Trois frères algériens, marqués par le massacre de Sétif en 1945. Vision sombre et poignante d'un mouvement de libération, par Rachid Bouchared. - Critique :

POUR

Indigènes avait le mérite indiscutable d'exhumer une page occultée de l'histoire de France. Hors-la-loi, film incommode et plus courageux encore, se confronte à son propre camp. Autrement dit, celui de la cause algérienne, à Paris, vers la fin des années 50. Trois frères, qui ont perdu une partie de leur famille dans le massacre de Sétif, en 1945, se retrouvent, dans le bidonville de Nanterre. Deux d'entre eux, Messaoud (Roschdy Zem) et Abdelkader (Sami Bouajila), rejoignent clandestinement le bras armé du FLN (Front de libération nationale), tandis que Saïd (Jamel Debbouze) fait fortune en prenant la tête d'un cabaret de Pigalle.

Un idéaliste enfermé dans son fanatisme, un combattant divisé et un voyou opportuniste : on a vu tableau plus glorieux. Voir, donc, le film comme une apologie du FLN serait un contresens. Hors-la-loi associe, surtout, la lutte pour l'indépendance à une souffrance, à un mal nécessaire. Ici, l'angélisme n'a pas sa place. La cause, si juste soit-elle, mène à la brutalité, à l'injustice, aussi. Le combat exige parfois d'étrangler des frères : le représentant du MNA (une organisation algérienne rivale), ou le père de famille qui a piqué dans la caisse du FLN. La référence évidente, c'est L'Armée des ombres, de Melville. Comme lui, Hors-la-loi croise le film noir avec la fresque ­historique. Rachid Bouchareb montre ces résistants de l'ombre comme des fantômes avec du sang sur les mains, des vivants ­déjà morts qui ont renoncé à toute existence « normale ». La blessure originelle, c'est Sétif, dont le souvenir resurgit lorsque la mère, survivante intraitable, dit à Abdel­kader en prison : « Sois un homme ! » Parole terrible qui scelle le destin violent de son fils.

Les épisodes s'enchaînent vite, implacables. Le film devient d'autant plus poignant que les personnages, machines de guerre ou gangster, se doivent de réprimer toute émotion. Sami Bouajila, intransigeant fiévreux, et Roschdy Zem, humain malgré lui, donnent beaucoup d'intensité à leur sacrifice. « Qui a gagné ? » demande, à un moment, le colonel Faivre (Bernard Blancan), un flic intelligent qui finit en barbouze infâme. Les cadavres, répond Bouchareb. Il est rare d'avoir sur un mouvement de libération une vision aussi sombre et glaçante.

 

CONTRE

C'est sûr, les scènes d'action ont de l'allure - elles étaient, déjà, très convaincantes dans Indigènes. Mais, cette fois, Rachid Bouchareb les noie dans un cours d'histoire à la fois superficiel et poussif. Hors-la-loi, c'est la guerre d'Algérie façon zapping : dix minutes pour le massacre de Sétif, cinq minutes pour la Toussaint rouge de 1954, dix minutes pour la rivalité entre le FLN et le MNA... Le réalisateur propose bien une piste de réflexion intéressante - l'analogie entre la lutte anticoloniale et la résistance au nazisme -, mais il la plombe par une scène lourdement didactique entre Sami Bouajila (pas assez charismatique pour incarner un leader politique) et Bernard Blancan (monolithique). La volonté d'aborder l'histoire dans sa complexité se heurte également aux stéréotypes des personnages. Le plus intéressant des trois frères, le plus incarné - et, hélas, le moins présent - est celui, interprété par Jamel Debbouze, qui préfère le cabaret et la boxe à la cause indépendantiste. Vu le sujet du film, c'est pour le moins gênant.

Année : 2010