Télévision : 16 octobre 2017 à 13:35-15:15 sur Canal +

film : drame

Se sentant coupable de la mort d'une patiente anonyme, une jeune médecin tente de lui redonner une identité. Un suspense moral parfaitement maîtrisé. - Critique :

Comme toutes les héroïnes des frères Dardenne, Jenny Davin a un objectif. Une quête qui devient une obsession... Rosetta (Emilie Dequenne) était prête à tout pour trouver un travail ; Samantha (Cécile de France), la coiffeuse au grand coeur, ne voulait pas abandonner le gamin au vélo qui, pourtant, lui en faisait voir ; Sandra (Marion Cotillard), pendant deux jours et une nuit, allait sonner sans relâche chez ses collègues pour les persuader de ­renoncer à leur prime et lui permettre de garder son emploi. Jenny, la jeune médecin de La Fille inconnue, elle, veut racheter son erreur. La seule que cette perfectionniste ait commise dans son activité professionnelle. Par perfectionnisme, justement... Un soir, alors que son cabinet médical était ­déjà fermé depuis plus d'une heure, elle a refusé d'ouvrir à une patiente : elle se sentait trop fatiguée pour pouvoir bien s'occuper d'elle. Le lendemain, elle apprend que la jeune femme est morte à quelques mètres de sa porte. Personne ne la connaît, personne ne réclame sa dépouille. Faute d'avoir pu sauver cette anonyme, ­Jenny va tout faire pour lui restituer son identité. Elle renonce à un poste prestigieux (et bien plus rémunérateur) dans une clinique privée pour ne pas quitter son quartier populaire des bords de Meuse. Appliquant, dans sa recherche de la vérité, un courage, une ténacité aussi intenses que son ­dévouement envers ses patients.

Les frères Dardenne ne cachent rien des débuts laborieux de son enquête en solitaire, sans craindre le surplace. Leur mise en scène, plus posée, plus classique, mais aussi plus sèche que d'habitude, semble moins animée de ce sentiment d'urgence qui bouleversait tant dans La Promesse ou Le Fils. Jenny elle-même est moins aimable que ses grandes soeurs dardenniennes. Adèle Haenel l'incarne comme un petit soldat à l'air buté, qui refoule ses sentiments face à la détresse qui l'entoure. Son personnage en a d'ailleurs fait une règle de vie : « Tu dois être plus fort que tes émotions si tu veux bien soigner », explique-t-elle cliniquement à son jeune stagiaire, bouleversé et impuissant devant la crise d'épilepsie d'un enfant dans la salle d'attente.

De l'émotion, Jenny en communique pourtant quand les Dardenne la filment longuement — et, eux aussi, obstinément — dans ses soins quotidiens avec les patients. Ses gestes ­banals, répétitifs témoignent d'une écoute sincère de la souffrance, d'une grande douceur. Et ce sont bien ses émotions qui la guident quand, rongée par le remords, elle tente inlassablement de convaincre les témoins ­potentiels du drame de révéler ce qu'ils ont vu, ce qu'ils ont fait.

Pas sûr que les Dardenne apprécieraient de voir leur héroïne assimilée à une figure christique. Jenny a pourtant tout d'une sainte (laïque, certes, mais sainte quand même) lorsqu'elle amène ses interlocuteurs à confesser leurs fautes, et par là même, à retrouver leur dignité. A devenir meilleurs... Au fil de cette enquête aussi policière que morale, le film ne cesse de monter en puissance dramatique. Jusqu'à la révélation complète, déchirante, de la vérité dans une des scènes les plus fortes que les Dardenne aient jamais tournées. Un long plan-séquence virtuose, où le « coupable » fuit le regard de Jenny pour mieux libérer sa parole. Et un grand moment de suspense... — Samuel Douhaire

Année : 2016