Télévision : 15 octobre 2017 à 21:05-23:00 sur France 2

film : drame

Fait divers célèbre : en 1977, Agnès Le Roux disparaît. Son cadavre ne sera jamais retrouvé. Durant des années, sa mère, patronne de casino déchue, accuse de meurtre l'amant de sa fille.Téchiné s'intéresse à la passion fiévreuse, folle, de l'héroïne pour un manipulateur… - Critique :

André Téchiné, c'est la violence des passions. La cruauté qui embrasait Hôtel des Amériques et Le Lieu du crime. On les retrouve, ici, dans l'attirance irrésistible, maladive, qu'éprouve soudain Agnès Le Roux (Adèle Haenel) pour Maurice Agnelet (Guillaume Canet), l'avocat conseil de sa mère, un homme apparemment gris et fade (seul signe inquiétant : il enregistre au magnéto toutes ses conversations téléphoniques), mais qui collectionne les femmes et les amitiés troubles avec les mafieux locaux. De la riche héritière niçoise, fille d'une femme qui a eu l'imprudence de l'humilier, il ne fera qu'une bouchée...

Les noms sont vrais, l'histoire l'est également : le blanchiment d'argent autour du Palais de la Méditerranée, à Nice, la disparition d'Agnès Le Roux, un jour de 1977, dont le cadavre ne sera jamais retrouvé, et les tentatives multiples de Renée Le Roux, patronne de casino déchue et mère trahie, pour faire accuser de meurtre l'amant de sa fille. Une affaire toujours d'actualité : tout récemment, Maurice Agnelet, plusieurs fois acquitté, a été condamné à vingt ans de détention, à la suite du témoignage à charge de son fils. Et il a fait appel...

C'est Catherine Deneuve qui joue Renée Le Roux, la propriétaire du grand casino niçois. Dans des décors orange et ocre qui puent le fric et le mauvais goût, sanglée dans des tenues orientales colorées, élégantes mais à la limite de la vulgarité, elle semble droit sortie d'un mélo extravagant de Josef von Sternberg : c'est la Mother Gin Sling de The Shanghai Gesture, qui, soudain, deviendrait mère Courage... Téchiné semble avoir dirigé son interprète favorite en lui demandant de retrouver le rythme et les intonations d'une comédienne qu'ils admirent tous deux : Danielle Darrieux. Deneuve a souvent incarné sa fille, notamment dans Le Lieu du crime. Quand elle lance « Il n'y a pas un chat, ce soir ! » ou « Tu mérites mieux qu'un étalon arriviste », on sent l'hommage qu'elle rend à sa mère de cinéma...

L'affrontement entre les deux femmes est superbe. Tout comme la progression de la passion dans le coeur et le corps d'Agnès Le Roux. Elle souffre. Elle brûle. Elle écrit à son amant des lettres fiévreuses et folles, comme Adèle Hugo dans le film de Truffaut. Lui l'humilie sans cesse, autant par sadisme que par peur. « Je déteste être pris dans les sentiments des autres », dit-il. En panoramiques rapides, brutaux, hachés comme une suite d'actes manqués, Téchiné filme des personnages qui semblent tourner autour d'eux-mêmes sans pouvoir jamais se rejoindre. Autre mouvement de caméra étonnant : ce travelling qui part du visage hagard d'Adèle Haenel, l'accompagne jusqu'à un téléphone et la ramène, encore plus dévastée après un affront supplémentaire, là d'où elle était partie... Reste le procès final, pas utile, pas terrible. Guillaume Canet, maladroitement ­grimé, frôle le ridicule. Appelée à la barre, Deneuve n'évoque plus Darrieux, mais la Gaby Morlay du célèbre mélo Le Voile bleu. Même les mouvements de caméra se figent. Comme si Téchiné se fichait de l'intrigue, dès lors qu'Agnès Le Roux était morte. Et avec elle les tourments amoureux, qui seuls le passionnent. — Pierre Murat

Année : 2014